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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

par des trèfles ou par des fleurs, joli filigrane en pierre. Au fond du chœur, un dôme de verre étincelait comme s’il était bâti de pierres précieuses habilement serties. À droite et à gauche, deux nefs profondes opposaient à cette voûte, tour à tour blanche et coloriée, leurs ombres noires au sein desquelles se dessinaient faiblement les fûts indistincts de cent colonnes grisâtres. À force de regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques, ces festons, ces spirales, ces fantaisies sarrasines qui s’entrelaçaient les unes dans les autres, bizarrement éclairées, mes perceptions devinrent confuses. Je me trouvai, comme sur la limite des illusions et de la réalité, pris dans les pièges de l’optique et presque étourdi par la multitude des aspects. Insensiblement ces pierres découpées se voilèrent, je ne les vis plus qu’à travers un nuage formé par une poussière d’or, semblable à celle qui voltige dans les bandes lumineuses tracées par un rayon de soleil dans une chambre. Au sein de cette atmosphère vaporeuse qui rendit toutes les formes indistinctes, la dentelle des roses resplendit tout à coup. Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre trait s’argenta. Le soleil alluma des feux dans les vitraux dont les riches couleurs scintillèrent. Les colonnes s’agitèrent, leurs chapiteaux s’ébranlèrent doucement. Un tremblement caressant disloqua l’édifice, dont les frises se remuèrent avec de gracieuses précautions. Plusieurs gros piliers eurent des mouvements graves comme est la danse d’une douairière qui, sur la fin d’un bal, complète par complaisance les quadrilles. Quelques colonnes minces et droites se mirent à rire et à sauter parées de leurs couronnes de trèfles. Des cintres pointus se heurtèrent avec les hautes fenêtres longues et grêles, semblables à ces dames du Moyen âge qui portaient les armoiries de leurs maisons peintes sur leurs robes d’or. La danse de ces arcades mitrées avec ces élégantes croisées ressemblait aux luttes d’un tournoi. Bientôt chaque pierre vibra dans l’église, mais sans changer de place. Les orgues parlèrent, et me firent entendre une harmonie divine à laquelle se mêlèrent des voix d’anges, musique inouïe, accompagnée par la sourde basse-taille des cloches dont les tintements annoncèrent que les deux tours colossales se balançaient sur leurs bases carrées. Ce sabbat étrange me sembla la chose du monde la plus naturelle, et je ne m’en étonnai pas après avoir vu Charles X à terre. J’étais moi-même doucement agité comme sur une escarpolette, qui me communiquait une sorte de