Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

une porte obscure, un homme muet, semblable aux familiers de l’inquisition, ouvrit cette porte. Nous nous trouvâmes bientôt dans une chambre tendue de vieilles tapisseries trouées, pleine de vieux linges, de mousselines fanées, de cuivres dorés.

— Voilà d’éternelles richesses, dit-elle.

Je frémis d’horreur en voyant alors distinctement, à la lueur d’une longue torche et de deux cierges, que cette femme devait être récemment sortie d’un cimetière. Elle n’avait pas de cheveux. Je voulus fuir, elle fit mouvoir son bras de squelette et m’entoura d’un cercle de fer armé de pointes. À ce mouvement, un cri poussé par des millions de voix, le hurrah des morts, retentit près de nous !

— Je veux te rendre heureux à jamais, dit-elle. Tu es mon fils !

Nous étions assis devant un foyer dont les cendres étaient froides. Alors la petite vieille me serra la main si fortement que je dus rester là. Je la regardai fixement, et tâchai de deviner l’histoire de sa vie en examinant les nippes au milieu desquelles elle croupissait. Mais existait-elle ? C’était vraiment un mystère. Je voyais bien que jadis elle avait dû être jeune et belle, parée de toutes les grâces de la simplicité, véritable statue grecque au front virginal.

— Ah ! ah ! lui dis-je, maintenant je te reconnais. Malheureuse, pourquoi t’es-tu prostituée aux hommes ? Dans l’âge des passions, devenue riche, tu as oublié ta pure et suave jeunesse, tes dévouements sublimes, tes mœurs innocentes, tes croyances fécondes, et tu as abdiqué ton pouvoir primitif, ta suprématie tout intellectuelle pour les pouvoirs de la chair. Quittant tes vêtements de lin, ta couche de mousse, tes grottes éclairées par de divines lumières, tu as étincelé de diamants, de luxe et de luxure. Hardie, fière, voulant tout, obtenant tout et renversant tout sur ton passage, comme une prostituée en vogue qui court au plaisir, tu as été sanguinaire comme une reine hébétée de volupté. Ne te souviens-tu pas d’avoir été souvent stupide par moments ? Puis tout à coup merveilleusement intelligente, à l’exemple de l’Art sortant d’une orgie. Poète, peintre, cantatrice, aimant les cérémonies splendides, tu n’as peut-être protégé les arts que par caprice, et seulement pour dormir sous des lambris magnifiques ? Un jour, fantasque et insolente, toi qui devais être chaste et modeste, n’as-tu pas tout soumis à ta pantoufle, et