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MELMOTH RÉCONCILIÉ.

de Castanier fut de chercher querelle à un homme qui lisait ainsi dans son âme, il était en proie à tant de sentiments contraires, qu’il en résultait une sorte d’inertie momentanée, il reprit donc son allure, et retomba dans cette fièvre de pensée naturelle à un homme assez vivement emporté par la passion pour commettre un crime, mais qui n’avait pas la force de le porter en lui-même sans de cruelles agitations. Aussi, quoique décidé à recueillir le fruit d’un crime à moitié consommé, Castanier hésitait-il encore à poursuivre son entreprise, comme font la plupart des hommes à caractère mixte, chez lesquels il se rencontre autant de force que de faiblesse, et qui peuvent être déterminés aussi bien à rester purs qu’à devenir criminels, suivant la pression des plus légères circonstances. Il s’est trouvé dans le ramas d’hommes enrégimentés par Napoléon beaucoup de gens qui, semblables à Castanier, avaient le courage tout physique du champ de bataille, sans avoir le courage moral qui rend un homme aussi grand dans le crime qu’il pourrait l’être dans la vertu. La lettre de crédit était conçue en de tels termes, qu’à son arrivée à Londres il devait toucher vingt-cinq mille livres sterling chez Wastchildine, le correspondant de la maison de Nucingen, avisé déjà du payement par lui-même ; son passage était retenu par un agent pris à Londres au hasard, sous le nom du comte Ferraro, à bord d’un vaisseau qui menait de Portsmouth en Italie une riche famille anglaise. Les plus petites circonstances avaient été prévues. Il s’était arrangé pour se faire chercher à la fois en Belgique et en Suisse pendant qu’il serait en mer. Puis, quand Nucingen pourrait croire être sur ses traces, il espérait avoir gagné Naples, où il comptait vivre sous un faux nom, à la faveur d’un déguisement si complet, qu’il s’était déterminé à changer son visage en y simulant à l’aide d’un acide les ravages de la petite vérole. Malgré toutes ces précautions qui semblaient devoir lui assurer l’impunité, sa conscience le tourmentait. Il avait peur. La vie douce et paisible qu’il avait longtemps menée avait purifié ses mœurs soldatesques. Il était probe encore, il ne se souillait pas sans regret. Il se laissait donc aller pour une dernière fois à toutes les impressions de la bonne nature qui regimbait en lui.

— Bah ! se dit-il au coin du boulevard et de la rue Montmartre, un fiacre me mènera ce soir à Versailles au sortir du spectacle. Une chaise de poste m’attend chez mon vieux maréchal-des-logis, qui me garderait le secret sur ce départ en présence de douze soldats