Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/350

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où elle régnait naguère. Espagnole d’origine, le sentiment de la femme espagnole gronda chez elle, quand elle se découvrit une rivale dans la Science qui lui enlevait son mari ; les tourments de la jalousie lui dévorèrent le cœur, et rénovèrent son amour. Mais que faire contre la Science ? comment en combattre le pouvoir incessant, tyrannique et croissant ? Comment tuer une rivale invisible ? Comment une femme, dont le pouvoir est limité par la nature, peut-elle lutter avec une idée dont les jouissances sont infinies et les attraits toujours nouveaux ? Que tenter contre la coquetterie des idées qui se rafraîchissent, renaissent plus belles dans les difficultés, et entraînent un homme si loin du monde qu’il oublie jusqu’à ses plus chères affections ? Enfin un jour, malgré les ordres sévères que Balthazar avait donnés, sa femme voulut au moins ne pas le quitter, s’enfermer avec lui dans ce grenier où il se retirait, combattre corps à corps avec sa rivale en assistant son mari durant les longues heures qu’il prodiguait à cette terrible maîtresse. Elle voulut se glisser secrètement dans ce mystérieux atelier de séduction, et acquérir le droit d’y rester toujours. Elle essaya donc de partager avec Lemulquinier le droit d’entrer dans le laboratoire ; mais, pour ne pas le rendre témoin d’une querelle qu’elle redoutait elle attendit un jour où son mari se passerait du valet de chambre. Depuis quelque temps elle étudiait les allées et venues de ce domestique avec une impatience haineuse ; ne savait-il pas tout ce qu’elle désirait apprendre, ce que son mari lui cachait et ce qu’elle n’osait lui demander ; elle trouvait Lemulquinier plus favorisé qu’elle, elle, l’épouse !

Elle vint donc tremblante et presque heureuse ; mais, pour la première fois de sa vie, elle connut la colère de Balthazar ; à peine avait-elle entrouvert la porte, qu’il fondit sur elle, la prit, la jeta rudement sur l’escalier, où elle faillit rouler du haut en bas. « Dieu soit loué, tu existes ! » cria Balthazar en la relevant. Un masque de verre s’était brisé en éclats sur Mme Claës qui vit son mari pâle, blême, effrayé. « Ma chère, je t’avais défendu de venir ici, dit-il en s’asseyant sur une marche de l’escalier comme un homme abattu. Les saints t’ont préservée de la mort. Par quel hasard mes yeux étaient-ils fixés sur la porte ? Nous avons failli périr. ─ J’aurais été bien heureuse alors, dit-elle. ─ Mon expérience est manquée, reprit Balthazar. Je ne puis