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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/371

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disant à l’oreille : « Je savais bien comment faire pour le renvoyer. », Mme Claës tourna la tête vers son mari sans avoir honte de lui montrer les larmes qui lui vinrent aux yeux, elles étaient si douces ! puis elle appuya son front sur l’épaule de Balthazar et laissa glisser Jean à terre.

« Rentrons au parloir », dit-elle après une pause.

Pendant toute la soirée, Balthazar fut d’une gaieté presque folle ; il inventa mille jeux pour ses enfants, et joua si bien pour son propre compte qu’il ne s’aperçut pas de deux ou trois absences que fit sa femme. Vers neuf heures et demie, lorsque Jean fut couché, quand Marguerite revint au parloir après avoir aidé sa sœur Félicie à se déshabiller, elle trouva sa mère assise dans la grande bergère, et son père qui causait avec elle en lui tenant la main. Elle craignit de troubler ses parents et paraissait vouloir se retirer sans leur parler ; Mme Claës s’en aperçut et lui dit : « Venez, Marguerite, venez, ma chère enfant. » Puis elle l’attira vers elle et la baisa pieusement au front en ajoutant : « Emportez votre livre dans votre chambre, et couchez-vous de bonne heure.

— Bonsoir, ma fille chérie », dit Balthazar.

Marguerite embrassa son père et s’en alla. Claës et sa femme restèrent pendant quelques moments seuls, occupés à regarder les dernières teintes du crépuscule, qui mouraient dans les feuillages du jardin déjà devenus noirs, et dont les découpures se voyaient à peine dans la lueur. Quand il fit presque nuit, Balthazar dit à sa femme d’une voix émue : « Montons. » Longtemps avant que les mœurs anglaises n’eussent consacré la chambre d’une femme comme un lieu sacré, celle d’une Flamande était impénétrable.

Les bonnes ménagères de ce pays n’en faisaient pas un apparat de vertu, mais une habitude contractée dès l’enfance, une superstition domestique qui rendait une chambre à coucher un délicieux sanctuaire où l’on respirait les sentiments tendres, où le simple s’unissait à tout ce que la vie sociale a de plus doux et de plus sacré. Dans la position particulière où se trouvait Mme Claës, toute femme aurait voulu rassembler autour d’elle les choses les plus élégantes ; mais elle l’avait fait avec un goût exquis, sachant quelle influence l’aspect de ce qui nous entoure exerce sur les sentiments. Chez une jolie créature c’eût été du luxe, chez elle c’était une nécessité. Elle avait compris la portée de ces mots : « On se fait jolie femme ! » maxime qui dirigeait