Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/373

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appuyant la main sur une chaise, pour se traîner avec grâce. C’était appeler à son secours. Balthazar, un moment abîmé dans la contemplation de cette tête olivâtre qui se détachait sur ce fond gris en attirant et satisfaisant le regard, se leva pour prendre sa femme et la porta sur le canapé. C’était bien ce qu’elle voulait.

« Tu m’as promis, dit-elle en lui prenant la main qu’elle garda entre ses mains électrisantes, de m’initier au secret de tes recherches. Conviens, mon ami, que je suis digne de le savoir, puisque j’ai eu le courage d’étudier une science condamnée par l’Église, pour être en état de te comprendre ; mais je suis curieuse, ne me cache rien. Ainsi, raconte-moi par quel hasard, un matin tu tes levé soucieux, quand la veille je t’avais laissé si heureux ?

— Et c’est pour entendre parler chimie que tu t’es mise avec tant de coquetterie ?

— Mon ami, recevoir une confidence qui me fait entrer plus avant dans ton cœur, n’est-ce pas pour moi le plus grand des plaisirs, n’est-ce pas une entente d’âme qui comprend et engendre toutes les félicités de la vie ? Ton amour me revient pur et entier, je veux savoir quelle idée a été assez puissante pour m’en priver si longtemps. Oui, je suis plus jalouse d’une pensée que de toutes les femmes ensemble. L’amour est immense, mais il n’est pas infini ; tandis que la Science a des profondeurs sans limites où je ne saurais te voir aller seul. Je déteste tout ce qui peut se mettre entre nous. Si tu obtenais la gloire après laquelle tu cours, j’en serais malheureuse ; ne te donnerait-elle pas de vives jouissances ? Moi seule, monsieur, dois être la source de vos plaisirs.

— Non, ce n’est pas une idée, mon ange, qui m’a jeté dans cette belle voie, mais un homme.

— Un homme, s’écria-t-elle avec terreur.

— Te souviens-tu, Pépita, de l’officier polonais que nous avons logé, chez nous, en 1809 ?

— Si je m’en souviens ! dit-elle. Je me suis souvent impatientée de ce que ma mémoire me fit si souvent revoir ses deux yeux semblables à des langues de feu, les salières au-dessus de ses sourcils où se voyaient des charbons de l’enfer, son large crâne sans cheveux, ses moustaches relevées, sa figure anguleuse, dévastée !… Enfin quel calme effrayant dans sa démarche !… S’il y avait eu de la place dans les auberges, il n’aurait certes pas couché ici.