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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

— Oui, répondit le jeune homme, moins étonné de l’accomplissement de ses souhaits que surpris de la matière naturelle par laquelle les événements s’enchaînaient ; et, quoiqu’il lui fût impossible de croire à une influence magique, il admirait les hasards de la destinée humaine.

— Mais tu nous dis oui, comme si tu pensais à la mort de ton grand-père, lui répliqua l’un de ses voisins.

— Ah ! reprit Raphaël avec un accent de naïveté qui fit rire ces écrivains, l’espoir de la jeune France, je pensais, mes amis, que nous voilà près de devenir de bien grands coquins ! Jusqu’à présent nous avons fait de l’impiété entre deux vins, nous avons pesé la vie étant ivres, nous avons prisé les hommes et les choses en digérant ; vierges du fait, nous étions hardis en paroles ; mais marqués maintenant par le fer chaud de la politique, nous allons entrer dans ce grand bagne et y perdre nos illusions. Quand on ne croit plus qu’au diable, il est permis de regretter le paradis de la jeunesse, le temps d’innocence où nous tendions dévotement la langue à un bon prêtre, pour recevoir le sacré corps de notre Seigneur Jésus-Christ. Ah ! mes bons amis, si nous avons eu tant de plaisir à commettre nos premiers péchés, c’est que nous avions des remords pour les embellir et leur donner du piquant, de la saveur ; tandis que maintenant…

— Oh ! maintenant, reprit le premier interlocuteur, il nous reste…

— Quoi ? dit un autre.

— Le crime…

— Voilà un mot qui a toute la hauteur d’une potence et toute la profondeur de la Seine, répliqua Raphaël.

— Oh ! tu ne m’entends pas. Je parle des crimes politiques. Depuis ce matin je n’envie qu’une existence, celle des conspirateurs. Demain, je ne sais si ma fantaisie durera toujours ; mais ce soir la vie pâle de notre civilisation, unie comme la rainure d’un chemin de fer, fait bondir mon cœur de dégoût ! Je suis épris de passion pour les malheurs de la déroute de Moscou, pour les émotions du Corsaire rouge et pour l’existence des contrebandiers. Puisqu’il n’y a plus de Chartreux en France, je voudrais au moins un Botany-Bay, une espèce d’infirmerie destinée aux petits lords Byrons, qui, après avoir chiffonné la vie comme une serviette après dîner, n’ont plus rien à faire qu’à incendier leur pays, se brû-