ler la cervelle, conspirer pour la république, ou demander la guerre…
— Émile, dit avec feu le voisin de Raphaël à l’interlocuteur, foi d’homme, sans la révolution de juillet, je me faisais prêtre pour aller mener une vie animale au fond de quelque campagne, et…
— Et tu aurais lu le bréviaire tous les jours ?
— Oui.
— Tu es un fat.
— Nous lisons bien les journaux.
— Pas mal ! pour un journaliste. Mais, tais-toi, nous marchons au milieu d’une masse d’abonnés. Le journalisme, vois-tu, c’est la religion des sociétés modernes, et il y a progrès.
— Comment ?
— Les pontifes ne sont pas tenus de croire, ni le peuple non plus…
En devisant ainsi, comme de braves gens qui savaient le De Viris illustribus depuis longues années, ils arrivèrent à un hôtel de la rue Joubert.
Émile était un journaliste qui avait conquis plus de gloire à ne rien faire que les autres n’en recueillent de leurs succès. Critique hardi, plein de verve et de mordant, il possédait toutes les qualités que comportaient ses défauts. Franc et rieur, il disait en face mille épigrammes à un ami, qu’absent, il défendait avec courage et loyauté. Il se moquait de tout, même de son avenir. Toujours dépourvu d’argent, il restait, comme tous les hommes de quelque portée, plongé dans une inexprimable paresse, jetant un livre dans un mot au nez de gens qui ne savaient pas mettre un mot dans leurs livres. Prodigue de promesses qu’il ne réalisait jamais, il s’était fait de sa fortune et de sa gloire un coussin pour dormir, courant ainsi la chance de se réveiller vieux à l’hôpital. D’ailleurs, ami jusqu’à l’échafaud, fanfaron de cynisme et simple comme un enfant, il ne travaillait que par boutade ou par nécessité.
— Nous allons faire, suivant l’expression de maître Alcofribas, un fameux tronçon de chiere lie, dit-il à Raphaël en lui montrant les caisses de fleurs qui embaumaient et verdissaient les escaliers.
— J’aime les porches bien chauffés et garnis de riches tapis, répondit Raphaël. Le luxe dès le péristyle est rare en France. Ici, je me sens renaître.