Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/418

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vos treize cents arpents ne vaudront pas trois cent mille francs. Ne vaut-il pas mieux éviter ce danger à peu près certain, en faisant échoir dès aujourd’hui le cas de partage par votre émancipation ? Vous sauverez ainsi toutes les coupes de la forêt desquelles votre père disposerait plus tard à votre préjudice. En ce moment que la Chimie dort, il placera nécessairement les valeurs de la liquidation sur le Grand Livre. Les fonds sont à cinquante-neuf, ces chers enfants auront donc près de cinq mille livres de rente pour cinquante mille francs ; et attendu qu’on ne peut pas disposer des capitaux appartenant aux mineurs, à leur majorité vos frères et votre sœur verront leur fortune doublée. Tandis que, autrement, ma foi… Voilà… D’ailleurs votre père a écorné le bien de votre mère, nous saurons le déficit par un inventaire. s’il est reliquataire, vous prendrez hypothèque sur ses biens, et vous en sauverez déjà quelque chose.

— Fi ! dit Marguerite, ce serait outrager mon père. Les dernières paroles de ma mère n’ont pas été prononcées depuis si peu de temps que je ne puisse me les rappeler. Mon père est incapable de dépouiller ses enfants, dit-elle en laissant échapper des larmes de douleur. Vous le méconnaissez, monsieur Pierquin.

— Mais si votre père, ma chère cousine, se remet à la Chimie, il…

— Nous serions ruinés, n’est-ce pas ?

— Oh ! mais complètement ruinés ! Croyez-moi, Marguerite, dit-il en lui prenant la main qu’il mit sur son cœur, je manquerais à mes devoirs si je n’insistais pas. Votre intérêt seul…

— Monsieur, dit Marguerite d’un air froid en lui retirant sa main, l’intérêt bien entendu de ma famille exige que je ne me marie pas. Ma mère en a jugé ainsi.

— Cousine, s’écria-t-il avec la conviction d’un homme d’argent qui voit perdre une fortune, vous vous suicidez, vous jetez à l’eau la succession de votre mère. Eh bien, j’aurai le dévouement de l’excessive amitié que je vous porte ! Vous ne savez pas combien je vous aime, je vous adore depuis le jour où je vous ai vue au dernier bal que votre père a donné ! vous étiez ravissante. Vous pouvez vous fier à la voix du cœur, quand elle parle intérêt, ma chère Marguerite. » Il fit une pause.

« Oui, nous convoquerons un conseil de famille et nous vous émanciperons sans vous consulter. ─ Mais qu’est-ce donc qu’être émancipée ?

— C’est jouir de ses droits.