Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/470

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le mettait la Science, l’avait rendu timide et enfant dans toutes les questions étrangères à ses occupations favorites ; sa fille aînée lui imposait, le souvenir de son dévouement passé, de la force qu’elle avait déployée, la conscience du pouvoir qu’il lui avait laissé prendre, la fortune dont elle disposait et les sentiments indéfinissables qui s’étaient emparés de lui, depuis le jour où il avait abdiqué sa paternité déjà compromise, la lui avaient sans doute grandie de jour en jour.

Conyncks semblait n’être rien aux yeux de Balthazar, il ne voyait que sa fille et ne pensait qu’à elle en paraissant la redouter comme certains maris faibles redoutent la femme supérieure qui les a subjugués ; lorsqu’il levait les yeux sur elle, Marguerite y surprenait avec douleur une expression de crainte, semblable à celle d’un enfant qui se sent fautif. La noble fille ne savait comment concilier la majestueuse et terrible expression de ce crâne dévasté par la Science et par les travaux, avec le sourire puéril, avec la servilité naïve qui se peignaient sur les lèvres et la physionomie de Balthazar. Elle fut blessée du contraste que présentaient cette grandeur et cette petitesse, et se promit d’employer son influence à faire reconquérir à son père toute sa dignité, pour le jour solennel où il allait reparaître au sein de sa famille.

D’abord, elle saisit un moment où ils se trouvèrent seuls pour lui dire à l’oreille : « Devez-vous quelque chose ici ? » Balthazar rougit et répondit d’un air embarrassé : « Je ne sais pas, mais Lemulquinier te le dira. Ce brave garçon est plus au fait de mes affaires que je ne le suis moi-même. » Marguerite sonna le valet de chambre, et quand il vint, elle étudia presque involontairement la physionomie des deux vieillards.

« Monsieur désire quelque chose ? » demanda Lemulquinier.

Marguerite, qui était tout orgueil et noblesse, eut un serrement de cœur en s’apercevant au ton et au maintien du valet, qu’il s’était établi quelque familiarité mauvaise entre son père et le compagnon de ses travaux.

« Mon père ne peut donc pas faire sans vous le compte de ce qu’il doit ici ? dit Marguerite.

— Monsieur, reprit Lemulquinier, doit… » À ces mots, Balthazar fit à son valet de chambre un signe d’intelligence que Marguerite surprit et qui l’humilia.

« Dites-moi tout ce que doit mon père, s’écria-t-elle.

— Ici, monsieur doit un millier d’écus à un apothicaire qui