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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/94

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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

était une force matérielle semblable à la vapeur ; que, dans le monde moral, rien ne résistait à cette puissance quand un homme s’habituait à la concentrer, à en manier la somme, à diriger constamment sur les âmes la projection de cette masse fluide ; que cet homme pouvait à son gré tout modifier relativement à l’humanité, même les lois les plus absolues de la nature. Ses objections me révélèrent en elle une certaine finesse d’esprit. Je me complus à lui donner raison pendant quelques moments pour la flatter, et je détruisis ses raisonnements de femme par un mot, en attirant son attention sur un fait journalier dans la vie, le sommeil, fait vulgaire en apparence, mais au fond plein de problèmes insolubles pour le savant. Je piquai sa curiosité. Elle resta même un instant silencieuse quand je lui dis que nos idées étaient des êtres organisés, complets, qui vivaient dans un monde invisible, et influaient sur nos destinées, en lui citant pour preuves les pensées de Descartes, de Diderot, de Napoléon, qui avaient conduit, qui conduisaient encore tout un siècle. J’eus l’honneur de l’amuser. Elle me quitta en m’invitant à la venir voir ; en style de cour, elle me donna les grandes entrées. Soit que je prisse, selon ma louable habitude, des formules polies pour des paroles de cœur, soit qu’elle vît en moi quelque célébrité prochaine, et voulût augmenter sa ménagerie de savants, je crus lui plaire. J’évoquai toutes mes connaissances physiologiques et mes études antérieures sur la femme pour examiner minutieusement pendant cette soirée sa personne et ses manières. Caché dans l’embrasure d’une fenêtre, j’espionnai ses pensées en les cherchant dans son maintien, en étudiant ce manége d’une maîtresse de maison qui va et vient, s’assied et cause, appelle un homme, l’interroge, et s’appuie pour l’écouter sur un chambranle de porte. Je remarquai dans sa démarche un mouvement brisé si doux, une ondulation de robe si gracieuse, elle excitait si puissamment le désir, que je devins alors très-incrédule sur sa vertu. Si Fœdora méconnaissait aujourd’hui l’amour, elle avait dû jadis être fort passionnée. Une volupté savante se peignait jusque dans la manière dont elle se posait devant son interlocuteur : elle se soutenait sur la boiserie avec coquetterie, comme une femme près de tomber, mais aussi près de s’enfuir si quelque regard trop vif l’intimide. Les bras mollement croisés, paraissant respirer les paroles, les écoutant même du regard et avec bienveillance, elle exhalait le sentiment. Ses lèvres fraîches et rouges