Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

loge de son amie. Jamais amour ne fut plus violent dans deux âmes, ni plus timide dans ses expressions. Ces deux enfants tremblaient l’un devant l’autre. Massimilla ne coquetait point, n’avait ni secundo, ni terzo, ni patito. Occupée d’un sourire et d’une parole, elle admirait son jeune Vénitien au visage pointu, au nez long et mince, aux yeux noirs, au front noble, qui, malgré ses naïfs encouragements, ne vint chez elle qu’après trois mois employés à s’apprivoiser l’un l’autre. L’été montra son ciel oriental, la duchesse se plaignit d’aller seule à Rivalta. Heureux et inquiet tout à la fois du tête-à-tête, Emilio avait accompagné Massimilla dans sa retraite. Ce joli couple y était depuis six mois.

A vingt ans, Massimilla n’avait pas, sans de grands remords, immolé ses scrupules religieux à l’amour ; mais elle s’était lentement désarmée et souhaitait accomplir ce mariage de cœur, tant vanté par sa mère, au moment où Emilio tenait sa belle et noble main, longue, satinée, blanche, terminée par des ongles bien dessinés et colorés, comme si elle avait reçu d’Asie un peu de l’henné qui sert aux femmes des sultans à se les teindre en rose vif. Un malheur ignoré de Massimilla, mais qui faisait cruellement souffrir Emilio, s’était jeté bizarrement entre eux. Massimilla, quoique jeune, avait cette majesté que la tradition mythologique attribue à Junon, seule déesse à laquelle la mythologie n’ait pas donné d’amant, car Diane a été aimée, la chaste Diane a aimée ! Jupiter seul a pu ne pas perdre contenance devant sa divine moitié, sur laquelle se sont modelées beaucoup de ladies en Angleterre. Emilio mettait sa maîtresse beaucoup trop haut pour y atteindre. Peut-être un an plus tard ne serait-il plus en proie à cette noble maladie qui n’attaque que les très-jeunes gens et les vieillards. Mais comme celui qui dépasse le but en est aussi loin que celui dont le trait n’y arrive pas, la duchesse se trouvait entre un mari qui se savait si loin du but qu’il ne s’en souciait plus, et un amant qui le franchissait si rapidement avec les blanches ailes de l’ange qu’il ne pouvait plus y revenir. Heureuse d’être aimée, Massimilla jouissait du désir sans en imaginer la fin ; tandis que son amant, malheureux dans le bonheur, amenait de temps en temps par une promesse sa jeune amie au bord de ce que tant de femmes nomment l’abîme, et se voyait obligé de cueillir les fleurs qui le bordent, sans pouvoir faire autre chose que les effeuiller en contenant dans son cœur une rage qu’il n’osait exprimer. Tous deux s’étaient promenés en se redisant au matin un