Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/104

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— Et d’abord, monsieur, dit Gambara, permettez-moi de vous apprendre en deux mots le sujet. Ici les gens qui reçoivent les impressions musicales ne les développent pas en eux-mêmes, comme la religion nous enseigne à développer par la prière les textes saints ; il est donc bien difficile de leur faire comprendre qu’il existe dans la nature une musique éternelle, une mélodie suave, une harmonie parfaite, troublée seulement par les révolutions indépendantes de la volonté divine, comme les passions le sont de la volonté des hommes. Je devais donc trouver un cadre immense où pussent tenir les effets et les causes, car ma musique a pour but d’offrir une peinture de la vie des nations prise à son point de vue le plus élevé. Mon opéra, dont le libretto a été composé par moi, car un poëte n’en eût jamais développé le sujet, embrasse la vie de Mahomet, personnage en qui les magies de l’antique sabéisme et la poésie orientale de la religion juive se sont résumées, pour produire un des plus grands poëmes humains, la domination des Arabes. Certes, Mahomet a emprunté aux Juifs l’idée du gouvernement absolu, et aux religions pastorales ou sabéiques le mouvement progressif qui a créé le brillant empire des califes. Sa destinée était écrite dans sa naissance même, il eut pour père un païen et pour mère une juive. Ah ! pour être grand musicien, mon cher comte, il faut être aussi très-savant. Sans instruction, point de couleur locale, point d’idées dans la musique. Le compositeur qui chante pour chanter est un artisan et non un artiste. Ce magnifique opéra continue la grande œuvre que j’avais entreprise. Mon premier opéra s’appelait LES MARTYRS, et j’en dois faire un troisième de LA JERUSALEM DELIVREE. Vous saisissez la beauté de cette triple composition et ses ressources si diverses : les Martyrs, Mahomet, la Jérusalem ! Le Dieu de l’Occident, celui de l’Orient, et la lutte de leurs religions autour d’un tombeau. Mais ne parlons pas de mes grandeurs à jamais perdues ! Voici le sommaire de mon opéra.

— Le premier acte, dit-il après une pause, offre Mahomet facteur chez Cadhige, riche veuve chez laquelle l’a placé son oncle ; il est amoureux et ambitieux ; chassé de la Mekke, il s’enfuit à Médine, et date son ère de sa fuite (l’hégire). Le second montre Mahomet prophète et fondant une religion guerrière. Le troisième présente Mahomet dégoûté de tout, ayant épuisé la vie, et dérobant le secret de sa mort pour devenir un Dieu, dernier effort de l’orgueil humain. Vous allez juger de ma manière d’exprimer par des sons un grand


fait que la poésie ne