Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/205

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et l’air ne contient aucune vapeur, je vais l’aller chercher ; mais soyez sage, monseigneur.

Etienne était trop timide pour proposer à Beauvouloir de l’accompagner à la maison du pêcheur ; d’ailleurs, il se trouvait dans l’état de torpeur où nous plonge l’affluence des idées et des sensations qu’engendre l’aurore de la passion. Plus libre en se trouvant seul, il s’écria, voyant la mer éclairée par la lune : — L’Océan a donc passé dans mon âme !

L’aspect de la jolie statuette animée qui venait à lui, et que la lune argentait en l’enveloppant de sa lumière, redoubla les palpitations au cœur d’Etienne, mais sans le faire souffrir.

— Mon enfant, dit Beauvouloir, voici monseigneur.

En ce moment, le pauvre Etienne souhaita la taille colossale de son père, il aurait voulu se montrer fort et non chétif. Toutes les vanités de l’amour et de l’homme lui entrèrent à la fois dans le cœur comme autant de flèches, et il demeura dans un morne silence en mesurant pour la première fois l’étendue de ses imperfections. Embarrassé d’abord du salut de la jeune fille, il le lui rendit gauchement et resta près de Beauvouloir avec lequel il causa tout en se promenant le long de la mer ; mais la contenance timide et respectueuse de Gabrielle l’enhardit, il osa lui adresser la parole. La circonstance du chant était l’effet du hasard ; le médecin n’avait rien voulu préparer, il pensait qu’entre deux êtres à qui la solitude avait laissé le cœur pur, l’amour se produirait dans toute sa simplicité. La répétition de l’air par Gabrielle fut donc un texte de conversation tout trouvé. Pendant cette promenade, Etienne sentit en lui-même cette légèreté corporelle que tous les hommes ont éprouvée au moment où le premier amour transporte le principe de leur vie dans une autre créature. Il offrit à Gabrielle de lui apprendre à chanter. Le pauvre enfant était si heureux de pouvoir se montrer aux yeux de cette jeune fille investi d’une supériorité quelconque, qu’il tressaillit d’aise quand elle accepta. Dans ce moment, la lumière donna pleinement sur Gabrielle et permit à Etienne de reconnaître les points de vague ressemblance qu’elle avait avec la feue duchesse. Comme Jeanne de Saint-Savin, la fille de Beauvouloir était mince et délicate ; chez elle comme chez la duchesse, la souffrance et la mélancolie produisaient une grâce mystérieuse. Elle avait la noblesse particulière aux âmes chez lesquelles les manières du monde n’ont rien altéré,