Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/206

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en qui tout est beau parce que tout est naturel. Mais il se trouvait de plus en Gabrielle le sang de la Belle Romaine qui avait rejailli à deux générations, et qui faisait à cette enfant un cœur de courtisane violente dans une âme pure ; de là procédait une exaltation qui lui rougit le regard, qui lui sanctifia le front, qui lui fit exhaler comme une lueur, et communiqua les pétillements d’une flamme à ses mouvements. Beauvouloir frissonna quand il remarqua ce phénomène qu’on pourrait aujourd’hui nommer la phosphorescence de la pensée, et que le médecin observait alors comme une promesse de mort. Etienne surprit la jeune fille à tendre le cou par un mouvement d’oiseau timide qui regarde autour de son nid. Cachée par son père, Gabrielle voulait voir Etienne à son aise, et son regard exprimait autant de curiosité que de plaisir, autant de bienveillance que de naïve hardiesse. Pour elle, Etienne n’était pas faible, mais délicat ; elle le trouvait si semblable à elle-même, que rien ne l’effrayait dans ce suzerain : le teint souffrant d’Etienne, ses belles mains, son sourire malade, ses cheveux partagés en deux bandeaux et répandus en boucles sur la dentelle de son collet rabattu, ce front noble sillonné de jeunes rides, ces oppositions de luxe et de misère, de pouvoir et de petitesse lui plaisaient ; ne flattaient-elles pas les désirs de protection maternelle qui sont en germe dans l’amour ? ne stimulaient-elles pas déjà le besoin qui travaille toute femme de trouver des distinctions à celui qu’elle veut aimer ? Chez tous les deux, des idées, des sensations nouvelles s’élevaient avec une force, avec une abondance qui leur élargissaient l’âme ; ils restaient l’un et l’autre étonnés et silencieux, car l’expression des sentiments est d’autant moins démonstrative qu’ils sont plus profonds. Tout amour durable commence par de rêveuses méditations. Il convenait peut-être à ces deux êtres de se voir pour la première fois dans la lumière adoucie de la lune, afin de ne pas être éblouis tout à coup par les splendeurs de l’amour ; ils devaient se rencontrer au bord de la mer qui leur offrait une image de l’immensité de leurs sentiments. Ils se quittèrent pleins l’un de l’autre, en craignant tous deux de ne s’être pas plu.

De sa fenêtre Etienne regarda la lumière de la maison où était Gabrielle. Pendant cette heure d’espoir mêlée de craintes, le jeune poëte trouva des significations nouvelles aux sonnets de Pétrarque. Il avait entrevu Laure, une fine et délicieuse figure, pure et dorée