Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/254

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— Juana, reprit-elle d’un ton grave, en devenant la femme d’un brave et digne homme, songe que tu seras mère. J’ai juré que tu pourrais embrasser au front tes enfants sans rougir… (là, sa voix s’altéra légèrement). J’ai juré que tu serais une femme vertueuse. Attends-toi donc, dans cette vie, à bien des peines ; mais, quoi qu’il arrive, reste pure, et sois en tout fidèle à ton mari ; sacrifie-lui tout, il sera le père de tes enfants… Un père à tes enfants !… Va ! entre un amant et toi, tu rencontreras toujours ta mère ; je la serai dans les dangers seulement… Vois-tu le poignard de Perez… Il est dans ta dot, dit-elle en prenant l’arme et la jetant sur le lit de Juana, je l’y laisse comme une garantie de ton honneur, tant que j’aurai les yeux ouverts et les bras libres. — Adieu, dit-elle en retenant ses pleurs, fasse le ciel que nous ne nous revoyions jamais.

À cette idée, ses larmes coulèrent en abondance.

— Pauvre enfant ! tu as été bien heureuse dans cette cellule, plus que tu ne le crois ! — Faites qu’elle ne la regrette jamais, dit-elle en regardant son futur gendre.

Ce récit purement introductif n’est point le sujet principal de cette Etude, pour l’intelligence de laquelle il était nécessaire d’expliquer, avant toutes choses, comment il se fit que le capitaine Diard épousa Juana de Mancini, comment Montefiore et Diard se connurent, et de faire comprendre quel cœur, quel sang, quelles passions animaient madame Diard.

Lorsque le quartier-maître eut rempli les longues et lentes formalités sans lesquelles il n’est pas permis à un militaire français de se marier, il était devenu passionnément amoureux de Juana de Mancini. Juana de Mancini avait eu le temps de réfléchir à sa destinée. Destinée affreuse ! Juana, qui n’avait pour Diard ni estime, ni amour, se trouvait néanmoins liée à lui par une parole, imprudente sans doute, mais nécessaire. Le Provençal n’était ni beau, ni bien fait. Ses manières dépourvues de distinction se ressentaient également du mauvais ton de l’armée, des mœurs de sa province et d’une incomplète éducation. Pouvait-elle donc aimer Diard, cette jeune fille toute grâce et toute élégance, mue par un invincible instinct de luxe et de bon goût, et que sa nature entraînait d’ailleurs vers la sphère des hautes classes sociales ? Quant à l’estime, elle refusait même ce sentiment à Diard, précisément parce que Diard l’épousait. Cette répulsion était toute naturelle. La femme est une