Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/278

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— Mais, ma bonne Juana, ma petite Juana, tu crois donc que… Juana ? Cela est-il bien pressé… Je voudrais t’embrasser.

Les gendarmes montaient les marches de l’escalier. Juana reprit alors le pistolet, ajusta Diard, le maintint malgré ses cris en le saisissant à la gorge, lui fit sauter la cervelle, et jeta l’arme par terre.

En ce moment la porte s’ouvrit brusquement. Le procureur du roi, suivi d’un juge, d’un médecin, d’un greffier, les gendarmes, enfin toute la Justice humaine apparut.

— Que voulez-vous ? dit-elle.

— Est-ce là monsieur Diard ? répondit le procureur du roi, en montrant le corps courbé en deux.

— Oui, monsieur.

— Votre robe est pleine de sang, madame.

— Ne comprenez-vous pas pourquoi, dit Juana.

Elle alla s’asseoir à la petite table où elle prit le volume de Cervantes, et resta pâle, dans une agitation nerveuse tout intérieure qu’elle tâcha de contenir.

— Sortez, dit le magistrat aux gendarmes.

Puis il fit un signe au juge d’instruction et au médecin, qui demeurèrent.

— Madame, en cette occasion, nous n’avons qu’à vous féliciter de la mort de votre mari. Du moins, s’il a été égaré par la passion, il sera mort en militaire, et rend inutile l’action de la justice. Mais quel que soit notre désir de ne pas vous troubler en un semblable moment, la loi nous oblige de constater toute mort violente. Permettez-nous de faire notre devoir.

— Puis-je aller changer de robe ? demanda-t-elle en posant le volume.

— Oui, madame ; mais vous la rapporterez ici. Le docteur en aura sans doute besoin…

— Il serait trop pénible à madame de me voir et de m’entendre opérer, dit le médecin qui comprit les soupçons du magistrat. Messieurs, permettez-lui de demeurer dans la chambre voisine.

Les magistrats approuvèrent le charitable médecin, et alors Félicie alla servir sa maîtresse. Le juge et le procureur du roi se mirent à causer à voix basse. Les magistrats sont bien malheureux d’être obligés de tout soupçonner, de tout concevoir. À force de supposer des intentions mauvaises et de les comprendre toutes