Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/375

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ces hasards malheureusement si fréquents en temps de guerre. Malgré son expression généralement soucieuse, sa physionomie annonçait une grande bonhomie. Il avait de beaux traits, et surtout un large cou dont la blancheur était si bien relevée par une cravate noire, que Wilhem le montra par raillerie à Prosper…..

Ici, monsieur Taillefer but un verre d’eau.

— Prosper offrit avec courtoisie au négociant de partager leur souper, et Wahlenfer accepta sans façon, comme un homme qui se sentait en mesure de reconnaître cette politesse ; il coucha sa valise à terre, mit ses pieds dessus, ôta son chapeau, s’attabla, se débarrassa de ses gants et de deux pistolets qu’il avait à sa ceinture. L’hôte ayant promptement donné un couvert, les trois convives commencèrent à satisfaire assez silencieusement leur appétit. L’atmosphère de la salle était si chaude et les mouches si nombreuses, que Prosper pria l’hôte d’ouvrir la croisée qui donnait sur la porte, afin de renouveler l’air. Cette fenêtre était barricadée par une barre de fer dont les deux bouts entraient dans des trous pratiqués aux deux coins de l’embrasure. Pour plus de sécurité, deux écrous, attachés à chacun des volets, recevaient deux vis. Par hasard, Prosper examina la manière dont s’y prenait l’hôte pour ouvrir la fenêtre.

— Mais, puisque je vous parle des localités, nous dit monsieur Hermann, je dois vous dépeindre les dispositions intérieures de l’auberge ; car, de la connaissance exacte des lieux, dépend l’intérêt de cette histoire. La salle où se trouvaient les trois personnages dont je vous parle avait deux portes de sortie. L’une donnait sur le chemin d’Andernach qui longe le Rhin. Là, devant l’auberge, se trouvait naturellement un petit débarcadère où le bateau, loué par le négociant pour son voyage, était amarré. L’autre porte avait sa sortie sur la cour de l’auberge. Cette cour était entourée de murs très-élevés, et remplie, pour le moment, de bestiaux et de chevaux, les écuries étant pleines de monde. La grande porte venait d’être si soigneusement barricadée, que, pour plus de promptitude, l’hôte avait fait entrer le négociant et les mariniers par la porte de la salle qui donnait sur la rue. Après avoir ouvert la fenêtre, selon le désir de Prosper Magnan, il se mit à fermer cette porte, glissa les barres dans leurs trous, et vissa les écrous. La chambre de l’hôte, où devaient coucher les deux sous-aides était contiguë à la salle commune, et se trouvait séparée par un mur