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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/536

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timidement Babette, expliquez-moi donc ce que veulent les Réformés.

— Dites-nous ça, compère, s’écria l’orfévre. Je connaissais le couturier du feu roi et le tenais pour un homme de mœurs simples, sans grand génie ; il était quasi comme vous, on lui eût baillé Dieu sans confession, et cependant il trempait au fond de cette religion nouvelle, lui ! un homme dont les deux oreilles valaient quelque cent mille écus. Il devait donc avoir des secrets à révéler pour que le roi et la duchesse de Valentinois aient assisté à sa torture.

— Et de terribles ! dit le pelletier. La Réformation, mes amis, reprit-il à voix basse, ferait rentrer dans la bourgeoisie les terres de l’Église. Après les priviléges ecclésiastiques supprimés, les Réformés comptent demander que les nobles et bourgeois soient égaux pour les tailles, qu’il n’y ait que le roi au-dessus de tout le monde, si toutefois on laisse un roi dans l’État.

— Supprimer le trône ! s’écria Lallier.

— Hé ! compère, dit Lecamus, dans les Pays-Bas, les bourgeois se gouvernent eux-mêmes par des échevins à eux, lesquels élisent eux-mêmes un chef temporaire.

— Vive Dieu ! compère, on devrait faire ces belles choses et rester Catholiques, s’écria l’orfévre.

— Nous sommes trop vieux pour voir le triomphe de la bourgeoisie de Paris, mais elle triomphera, compère ! dans le temps comme dans le temps ! Ah ! il faudra bien que le roi s’appuie sur elle pour résister, et nous avons toujours bien vendu notre appui. Enfin la dernière fois, tous les bourgeois ont été anoblis, il leur a été permis d’acheter des terres seigneuriales et d’en porter les noms sans qu’il soit besoin de lettres expresses du roi. Vous comme moi le petit-fils des Goix par les femmes, ne valons-nous pas bien des seigneurs ?

Cette parole effraya tant l’orfévre et les deux femmes, qu’elle fut suivie d’un profond silence. Les ferments de 1789 piquaient déjà le sang de Lecamus qui n’était pas encore si vieux qu’il ne pût voir les audaces bourgeoises de la Ligue.

— Vendez-vous bien, malgré ce remue-ménage ? demanda Lallier à la Lecamus.

— Cela fait toujours du tort, répondit-elle.

— Aussi ai-je bien fort l’envie de faire un avocat de mon fils, dit Lecamus, car la chicane va toujours.