Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/600

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Il jeta son gant aux pieds du roi, en disant : Que celui qui veut soutenir cette calomnie s’avance.

La cour entière frissonna, quand on vit le duc de Guise quittant sa place ; mais au lieu de ramasser le gant comme on le croyait, il alla vers l’intrépide bossu.

— S’il vous faut un second, mon prince, faites-moi l’honneur de m’accepter, dit-il. Je réponds de vous, et vous montrerez aux Réformés combien ils s’abusent s’ils veulent vous prendre pour chef…

Le prince fut forcé de tendre la main au lieutenant-général du royaume. Chicot ramassa le gant et le remit à monsieur de Condé.

— Mon cousin, fit le petit roi, vous ne devez tirer l’épée que pour la défense de la couronne, venez dîner ?

Le cardinal de Lorraine, surpris du mouvement de son frère, l’emmena dans ses appartements. Le prince de Condé, sorti du plus grave de ses dangers, donna la main à la reine Marie Stuart pour se rendre dans la salle à manger ; mais, tout en disant des flatteries à la jeune reine, il cherchait quel piége lui tendait en ce moment la politique du Balafré. Le prince eut beau se creuser la tête, il ne devina le projet du Lorrain que quand la reine Marie le lui découvrit.

— C’eût été dommage, lui dit-elle en riant, de voir tomber une tête si spirituelle, et avouez que mon oncle est généreux ?

— Oui, madame, car ma tête ne va bien que sur mes épaules, encore que l’une soit sensiblement plus grosse que l’autre. Mais est-ce générosité chez votre oncle ? Ne s’est-il pas fait un mérite à bon marché ? Croyez-vous qu’il soit si facile de procéder contre un prince du sang ?

— Tout n’est pas fini, reprit-elle. Nous verrons quelle sera votre conduite à l’exécution des gentilshommes de vos amis, pour laquelle le conseil a résolu de déployer le plus grand appareil.

— Je ferai, dit le prince, ce que fera le roi.

— Le roi, la reine-mère et moi-même, nous y assisterons avec toute la cour et les ambassadeurs…

— Une fête ?… dit ironiquement le prince.

— Mieux que cela, dit la jeune reine, un acte de foi, un acte de haute politique. Il s’agit de soumettre les gentilshommes de France à la couronne, de leur faire passer leur goût pour les factions et pour les brigues…