Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/601

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— Vous ne leur ôterez point leur humeur belliqueuse en leur montrant de tels périls, madame, et vous risquez à ce jeu la couronne elle-même, répondit le prince.

À la fin de ce dîner, qui fut assez solennel, la reine Marie eut alors la triste hardiesse de mettre publiquement la conversation sur le procès qui se faisait en ce moment aux seigneurs pris les armes à la main, et de parler de la nécessité de donner le plus grand appareil à leur exécution.

— Madame, dit François II, n’est-ce pas assez pour le roi de France de savoir que le sang de tant de braves gentilshommes coulera ? faut-il en faire un triomphe ?

— Non, sire ; mais un exemple, répondit Catherine.

— Votre grand-père et votre père avaient coutume d’assister au brûlement des hérétiques, dit Marie Stuart.

— Les rois qui ont régné avant moi faisaient à leur guise, et je veux faire à la mienne, répondit le roi.

— Philippe II, reprit Catherine, qui certainement est un grand monarque, a fait dernièrement, étant dans les Pays-Bas, retarder un acte de foi jusqu’à ce qu’il fût de retour à Valladolid.

— Qu’en pensez-vous, mon cousin ? dit le roi au prince de Condé.

— Sire, vous ne pouvez vous en dispenser, il y faut le nonce du pape et les ambassadeurs. J’irai volontiers, moi, du moment où les dames sont de la fête…

Le prince de Condé, sur un regard de Catherine de Médicis, avait pris bravement son parti.

Pendant que le prince de Condé entrait au château d’Amboise, le pelletier des deux reines y arrivait aussi de Paris, amené par l’inquiétude dans laquelle les événements du Tumulte avaient plongé sa famille et celle de Lallier. À la porte du château, quand le vieillard se présenta, le capitaine, au mot de pelletier de la reine, lui répondit : — Brave homme, si tu veux être pendu, tu n’as qu’à mettre le pied à la cour. En entendant ces paroles, le père au désespoir s’assit sur une barrière à quelques pas et attendit qu’un serviteur d’une des deux reines ou quelque femme vînt à passer afin d’avoir des nouvelles de son fils ; mais il resta pendant toute la journée sans voir personne de connaissance, et fut forcé de descendre en ville où il se logea, non sans peine, dans une hôtellerie sur la place où se faisaient les exécutions. Il fut obligé de payer une