tre murailles étroites et sales ; aussi, sa vie devint-elle, dans la plus large acception de ce terme, une vie idéale. Plein de mépris pour les études presque inutiles auxquelles nous étions condamnés, Louis marchait dans sa route aérienne, complétement détaché des choses qui nous entouraient. Obéissant au besoin d’imitation qui domine les enfants, je tâchai de conformer mon existence à la sienne. Louis m’inspira d’autant mieux sa passion pour l’espèce de sommeil dans lequel les contemplations profondes plongent le corps, que j’étais plus jeune et plus impressible. Nous nous habituâmes, comme deux amants, à penser ensemble, à nous communiquer nos rêveries. Déjà ses sensations intuitives avaient cette acuité qui doit appartenir aux perceptions intellectuelles des grands poètes, et les faire souvent approcher de la folie.
— Sens-tu, comme moi, me demanda-t-il un jour, s’accomplir en toi, malgré toi, de fantasques souffrances ? Si, par exemple, je pense vivement à l’effet que produirait la lame de mon canif en entrant dans ma chair, j’y ressens tout à coup une douleur aiguë comme si je m’étais réellement coupé : il n’y a de moins que le sang. Mais cette sensation arrive et me surprend comme un bruit soudain qui troublerait un profond silence. Une idée causer des souffrances physiques ?… Hein ! qu’en dis-tu ?
Quand il exprimait des réflexions si ténues, nous tombions tous deux dans une rêverie naïve. Nous nous mettions à rechercher en nous-mêmes les indescriptibles phénomènes relatifs à la génération de la pensée, que Lambert espérait saisir dans ses moindres développements, afin de pouvoir en décrire un jour l’appareil inconnu. Puis, après des discussions, souvent mêlées d’enfantillages, un regard jaillissait des yeux flamboyants de Lambert, il me serrait la main, et il sortait de son âme un mot par lequel il tâchait de se résumer.
— Penser, c’est voir ! me dit-il un jour emporté par une de nos objections sur le principe de notre organisation. Toute science humaine repose sur la déduction, qui est une vision lente par laquelle on descend de la cause à l’effet, par laquelle on remonte de l’effet à la cause ; ou, dans une plus large expression, toute poésie comme toute œuvre d’art procède d’une rapide vision des choses.
Il était spiritualiste ; mais, j’osais le contredire en m’armant de ses observations mêmes pour considérer l’intelligence comme un produit tout physique. Nous avions raison tous deux. Peut-être les