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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/181

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j’ai obéi, en vous écrivant, à l’instinct qui arrache des cris inutiles aux mourants. J’ai eu besoin de tout mon courage pour imposer silence à la fierté du malheur et pour franchir les barrières que les préjugés mettent entre vous et moi. J’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune ! Pour vous écrire, ne fallait-il pas affronter ce mépris que les femmes réservent souvent à des amours dont l’aveu ne s’accepte que comme une flatterie de plus. Aussi faut-il s’élancer de toutes ses forces vers le bonheur, être attiré vers la vie de l’amour comme l’est une plante vers la lumière, avoir été bien malheureux pour vaincre les tortures, les angoisses de ces délibérations secrètes où la raison nous démontre de mille manières la stérilité des vœux cachés au fond du cœur, et où cependant l’espérance nous fait tout braver. J’étais si heureux de vous admirer en silence, j’étais si complétement abîmé dans la contemplation de votre belle âme, qu’en vous voyant je n’imaginais presque rien au delà. Non, je n’aurais pas encore osé vous parler, si je n’avais entendu annoncer votre départ. À quel supplice un seul mot m’a livré ! Enfin mon chagrin m’a fait apprécier l’étendue de mon attachement pour vous, il est sans bornes. Mademoiselle, vous ne connaîtrez jamais, du moins je désire que jamais vous n’éprouviez la douleur causée par la crainte de perdre le seul bonheur qui soit éclos pour nous sur cette terre, le seul qui nous ait jeté quelque lueur dans l’obscurité de la misère. Hier, j’ai senti que ma vie n’était plus en moi, mais en vous. Il n’est plus pour moi qu’une femme dans le monde, comme il n’est plus qu’une seule pensée dans mon âme. Je n’ose vous dire à quelle alternative me réduit l’amour que j’ai pour vous. Ne voulant vous devoir qu’à vous-même, je dois éviter de me présenter accompagné de tous les prestiges du malheur : ne sont-ils pas plus actifs que ceux de la fortune sur de nobles âmes ? Je vous tairai donc bien des choses. Oui, j’ai une idée trop belle de l’amour pour le corrompre par des pensées étrangères à sa nature. Si mon âme est digne de la vôtre, si ma vie est pure, votre cœur en aura quelque généreux pressentiment, et vous me comprendrez ! Il est dans la destinée de l’homme de s’offrir à celle qui le fait croire au bonheur ; mais votre droit est de refuser le sentiment le plus vrai, s’il ne s’accorde pas avec les voix confuses de votre cœur : je le sais. Si le sort que vous me ferez doit être contraire à mes espérances, mademoiselle, j’invoque les délicatesses de votre âme