Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/182

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vierge, aussi bien que l’ingénieuse pitié de la femme. Ah ! je vous en supplie à genoux, brûlez ma lettre, oubliez tout. Ne plaisantez pas d’un sentiment respectueux et trop profondément empreint dans l’âme pour pouvoir s’en effacer. Brisez mon cœur, mais ne le déchirez pas ! Que l’expression de mon premier amour, d’un amour jeune et pur, n’ait retenti que dans un cœur jeune et pur ! qu’il y meure comme une prière va se perdre dans le sein de Dieu ! Je vous dois de la reconnaissance : j’ai passé des heures délicieuses occupé à vous voir en m’abandonnant aux rêveries les plus douces de ma vie ; ne couronnez donc pas cette longue et passagère félicité par quelque moquerie de jeune fille. Contentez-vous de ne pas me répondre. Je saurai bien interpréter votre silence, et vous ne me verrez plus. Si je dois être condamné à toujours comprendre le bonheur et à le perdre toujours ; si je suis, comme l’ange exilé, conservant le sentiment des délices célestes, mais sans cesse attaché dans un monde de douleur ; eh ! bien, je garderai le secret de mon amour, comme celui de mes misères. Et, adieu ! Oui, je vous confie à Dieu, que j’implorerai pour vous, à qui je demanderai de vous faire une belle vie ; car, fussé-je chassé de votre cœur, où je suis entré furtivement à votre insu, je ne vous quitterai jamais. Autrement, quelle valeur auraient les paroles saintes de cette lettre, ma première et ma dernière prière peut-être ? Si je cessais un jour de penser à vous, de vous aimer, heureux ou malheureux ! ne mériterais-je pas mes angoisses ?

II.

« Vous ne partez pas ! Je suis donc aimé ! moi, pauvre être obscur. Ma chère Pauline, vous ne connaissez pas la puissance du regard auquel je crois, et que vous m’avez jeté pour m’annoncer que j’avais été choisi par vous, par vous, jeune et belle, qui voyez le monde à vos pieds. Pour vous faire comprendre mon bonheur, il faudrait vous raconter ma vie. Si vous m’eussiez repoussé, pour moi tout était fini. J’avais trop souffert. Oui, mon amour, ce bienfaisant et magnifique amour était un dernier effort vers la vie heureuse à laquelle mon âme tendait, une âme déjà brisée par des travaux inutiles, consumée par des craintes qui me font douter de moi, rongée par des désespoirs qui m’ont souvent persuadé de mourir. Non, personne dans le monde ne sait la terreur que ma fatale imagination me cause à moi-même. Elle m’élève souvent dans les cieux, et tout