Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/203

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— Sans doute, me dit-elle, Louis doit paraître fou ; mais il ne l’est pas, si le nom de fou doit appartenir seulement à ceux dont, par des causes inconnues, le cerveau se vicie, et qui n’offrent aucune raison de leurs actes. Tout est parfaitement coordonné chez mon mari. S’il ne vous a pas reconnu physiquement, ne croyez pas qu’il ne vous ait point vu. Il a réussi à se dégager de son corps, et nous aperçoit sous une autre forme, je se sais laquelle. Quand il parle, il exprime des choses merveilleuses. Seulement, assez souvent, il achève par la parole une idée commencée dans son esprit, ou commence une proposition qu’il achève mentalement. Aux autres hommes, il paraîtrait aliéné ; pour moi, qui vis dans sa pensée, toutes ses idées sont lucides. Je parcours le chemin fait par son esprit, et, quoique je n’en connaisse pas tous les détours, je sais me trouver néanmoins au but avec lui. À qui n’est-il pas, maintes fois, arrivé de penser à une chose futile et d’être entraîné vers une pensée grave par des idées ou par des souvenirs qui s’enroulent ? Souvent, après avoir parlé d’un objet frivole, innocent point de départ de quelque rapide méditation, un penseur oublie ou tait les liaisons abstraites qui l’ont conduit à sa conclusion, et reprend la parole en ne montrant que le dernier anneau de cette chaîne de réflexions. Les gens vulgaires à qui cette vélocité de vision mentale est inconnue, ignorant le travail intérieur de l’âme, se mettent à rire du rêveur, et le traitent de fou s’il est coutumier de ces sortes d’oublis. Louis est toujours ainsi : sans cesse il voltige à travers les espaces de la pensée, et s’y promène avec une vivacité d’hirondelle, je sais le suivre dans ses détours. Voilà l’histoire de sa folie. Peut-être un jour Louis reviendra-t-il à cette vie dans laquelle nous végétons ; mais s’il respire l’air des cieux avant le temps où il nous sera permis d’y exister, pourquoi souhaiterions-nous de le revoir parmi nous ? Contente d’entendre battre son cœur, tout mon bonheur est d’être auprès de lui. N’est-il pas tout à moi ? Depuis trois ans, à deux reprises, je l’ai possédé pendant quelques jours : en Suisse où je l’ai conduit, et au fond de la Bretagne dans une île où je l’ai mené prendre des bains de mer. J’ai été deux fois bien heureuse ! Je puis vivre par mes souvenirs.

— Mais, lui dis-je, écrivez-vous les paroles qui lui échappent ?

— Pourquoi ? me répondit-elle.