Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/22

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— Sire, dit le maréchal de Retz en sortant de sa méditation, je vous trouve royalement ennuyé, ne vous divertissez-vous donc plus ? Vive Dieu ! où est le temps où nous nous amusions à vaurienner par les rues le soir ?

— Ah! c’était le bon temps, répondit le roi non sans soupirer.

— Que n’y allez-vous ? dit monsieur de Birague en se retirant et jetant une œillade aux Gondi.

— Je me souviens toujours avec plaisir de ce temps-là, s’écria le maréchal de Retz.

— Je voudrais bien vous voir sur les toits, monsieur le maréchal, dit Tavannes. — Sacré chat d’Italie, puisses-tu te rompre le cou, ajouta-t-il à l’oreille du roi.

— J’ignore qui de vous ou de moi franchirait le plus lestement une cour ou une rue ; mais ce que je sais, c’est que nous ne craignons pas plus l’un que l’autre de mourir, répondit le duc de Retz.

— Eh! bien, sire, voulez-vous vaurienner comme dans votre jeunesse ? dit le Grand-Maître de la Garde-Robe.

Ainsi, à vingt-quatre ans, ce malheureux roi ne paraissait plus jeune à personne, pas même à ses flatteurs. Tavannes et le roi se remémorèrent, comme de véritables écoliers, quelques-uns des bons tours qu’ils avaient faits dans Paris, et la partie fut bientôt liée. Les deux Italiens, mis au défi de sauter de toit en toit, et d’un côté de la rue à l’autre, parièrent de suivre le roi. Chacun alla prendre un costume de vaurien. Le comte de Solern, resté seul avec le roi, le regarda d’un air étonné. Si le bon Allemand, pris de compassion en devinant la situation du roi de France, était la fidélité, l’honneur même, il n’avait pas la conception prompte. Entouré de gens hostiles, ne pouvant se fier à personne, pas même à sa femme, qui s’était rendue coupable de quelques indiscrétions en ignorant qu’il eût sa mère et ses serviteurs pour ennemis, Charles IX avait été heureux de rencontrer en monsieur de Solern un dévouement qui lui permettait une entière confiance. Tavannes et Villeroy n’avaient qu’une partie des secrets du roi. Le comte de Solern seul connaissait le plan dans son entier ; il était d’ailleurs très-utile à son maître, en ce qu’il disposait de quelques serviteurs discrets et affectionnés qui obéissaient aveuglément à ses ordres. Monsieur de Solern, qui avait un commandement dans les Archers de la garde, y triait, depuis quelques jours, des hommes exclusive-