Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/21

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lisières. Ma mère est cause de tout le mal ici. Dans trois mois je serai ou mort, ou roi de fait. Sur ta vie, silence ! Tu as mon secret, toi, Solern et Villeroy. S’il se commet une indiscrétion, elle viendra de l’un de vous. Ne me serre pas de si près, va faire la cour à ma mère, dis-lui que je meurs, et que tu ne me regrettes pas parce que je suis un pauvre sire.

Charles IX se promena le bras appuyé sur l’épaule de son ancien favori, avec lequel il parut s’entretenir de ses souffrances pour tromper les curieux ; puis craignant de rendre sa froideur trop visible, il vint causer avec les deux reines en appelant Birague auprès d’elles. En ce moment, Pinard, un des Secrétaires d’État, se coula de la porte auprès de Catherine en filant comme une anguille le long des murs. Il vint dire deux mots à l’oreille de la reine-mère, qui lui répondit par un signe affirmatif. Le roi ne demanda point à sa mère ce dont il s’agissait, il alla se remettre dans son fauteuil et garda le silence, après avoir jeté sur la cour un regard d’horrible colère et de jalousie. Ce petit événement eut aux yeux de tous les courtisans une énorme gravité. Ce fut comme la goutte d’eau qui fait déborder le verre, que cet exercice du pouvoir sans la participation du roi. La reine Élisabeth et la comtesse de Fiesque se retirèrent sans que le roi y fit attention ; mais la reine-mère reconduisit sa belle-fille jusqu’à la porte. Quoique la mésintelligence de la mère et du fils donnât un très-grand intérêt aux gestes, aux regards, à l’attitude de Catherine et de Charles IX, leur froide contenance fit comprendre aux courtisans qu’ils étaient de trop ; ils quittèrent !e salon quand la jeune reine fut sortie. À dix heures il ne resta plus que quelques intimes, les deux Gondi, Tavannes, le comte de Solern, Birague et la reine-mère.

Le roi demeurait plongé dans une noire mélancolie. Ce silence était fatigant. Catherine paraissait embarrassée, elle voulait partir, elle désirait que le roi la reconduisît, mais le roi demeurait obstinément dans sa rêverie elle se leva pour lui dire adieu, Charles IX fut contraint de l’imiter ; elle lui prit le bras, fit quelques pas avec lui pour pouvoir se pencher à son oreille et y glisser ces mots : — Monsieur, j’ai des choses importantes à vous confier.

Avant de partir, la reine-mère fit dans une glace à messieurs de Gondi un clignement d’yeux qui put d’autant mieux échapper aux regards de son fils qu’il jetait lui-même un coup d’œil d’intelligence au comte de Solern et à Villeroy. Tavannes était pensif.