Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/292

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« En mettant Dieu face à face avec ce Grand Tout, il n’est entre eux que deux états possibles. La Matière et Dieu sont contemporains, ou Dieu préexistait seul à la Matière. En supposant la raison qui éclaire les races humaines depuis qu’elles vivent, amassée dans une seule tête, cette tête gigantesque ne saurait inventer une troisième façon d’être, à moins de supprimer Matière et Dieu. Que les philosophies humaines entassent des montagnes de mots et d’idées, que les religions accumulent des images et des croyances, des révélations et des mystères, il faut en venir à ce terrible dilemme, et choisir entre les deux propositions qui le composent ; mais vous n’avez pas à opter : l’une et l’autre conduit la raison humaine au Doute. Le problème étant ainsi posé, qu’importe l’Esprit et la Matière ? qu’importe la marche des mondes dans un sens ou dans un autre, du moment où l’être qui les mène est convaincu d’absurdité ? À quoi bon chercher si l’homme s’avance vers le ciel ou s’il en revient, si la création s’élève vers l’Esprit ou descend vers la Matière, dès que les mondes interrogés ne donnent aucune réponse ? Que signifient les théogonies et leurs armées, que signifient les théologies et leurs dogmes, du moment où, quel que soit le choix de l’homme entre les deux faces du problème, son Dieu n’est plus ? Parcourons la première, supposons Dieu contemporain de la Matière ? Est-ce être Dieu que de subir l’action ou la coexistence d’une substance étrangère à la sienne ? Dans ce système, Dieu ne devient-il pas un agent secondaire obligé d’organiser la matière ? Qui l’a contraint ? Entre sa grossière compagne et lui, qui fut l’arbitre ? Qui a donc payé le salaire des Six journées imputées à ce Grand Artiste ? S’il s’était rencontré quelque force déterminante qui ne fût ni Dieu ni la Matière ; en voyant Dieu tenu de fabriquer la machine des mondes, il serait aussi ridicule de l’appeler Dieu que de nommer citoyen de Rome l’esclave envoyé pour tourner une meule. D’ailleurs, il se présente une difficulté tout aussi peu soluble pour cette raison suprême, qu’elle l’est pour Dieu. Reporter le problème plus haut, n’est-ce pas agir comme les Indiens, qui placent le monde sur une tortue, la tortue sur un éléphant, et qui ne peuvent dire sur quoi reposent les pieds de leur éléphant ? Cette volonté suprême, jaillie du combat de la Matière et de Dieu, ce Dieu, plus que Dieu, peut-il être demeuré pendant une éternité sans vouloir ce qu’il a voulu, en admettant que l’Éternité puisse se scinder en deux temps ? N’importe où soit Dieu, s’il n’a pas