Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/330

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là ; l’Ange est crucifié dans tous les lieux, dans toutes les sphères. Les soupirs arrivent à Dieu de toutes parts. La terre où nous sommes est un des épis de la moisson, l’humanité est une des espèces dans le champ immense où se cultivent les fleurs du ciel. Enfin, partout Dieu est semblable à lui-même, et partout, en priant, il est facile d’arriver à lui. »

À ces paroles, tombées comme des lèvres d’une autre Agar dans le désert, mais qui, arrivées à l’âme, la remuaient comme des flèches lancées par le Verbe enflammé d’Isaïe, cet être se tut soudain pour rassembler ses dernières forces. Ni Wilfrid, ni Minna n’osèrent parler. Tout à coup, il se dressa pour mourir.

— Âme de toutes choses, ô mon Dieu, toi que j’aime pour toi-même ! Toi, Juge et Père, sonde une ardeur qui n’a pour mesure que ton infinie bonté ! Donne-moi ton essence et tes facultés pour que je sois mieux à toi ! Prends-moi pour que je ne sois plus moi-même. Si je ne suis pas assez pur, replonge-moi dans la fournaise ! Si je suis taillé en faulx, fais de moi quelque Soc nourricier ou l’Épée victorieuse ! Accorde-moi quelque martyre éclatant où je puisse proclamer ta parole. Rejeté, je bénirai ta justice. Si l’excès d’amour obtient en un moment ce qui se refuse à de durs, à de patients travaux, enlève-moi sur ton char de feu ! Que tu m’octroies le triomphe ou de nouvelles douleurs, sois béni ! Mais souffrir pour toi, n’est-ce pas un triomphe aussi ! Prends, saisis, arrache, emporte-moi ! Si tu le veux, rejette-moi ! Tu es l’adoré qui ne saurait mal faire. — Ah ! cria-t-il, après une pause, les liens se brisent !

« Esprits purs, troupeau sacré, sortez des abîmes, volez sur la surface des ondes lumineuses ! L’heure a sonné, venez, rassemblez-vous ! Chantons aux portes du Sanctuaire, nos chants dissiperont les dernières nuées. Unissons nos voix pour saluer l’aurore du Jour Éternel. Voici l’aube de la Vraie Lumière ! Pourquoi ne puis-je emmener mes amis ? Adieu, pauvre terre ! adieu ! »

VII.

L’ASSOMPTION.

Ces derniers chants ne furent exprimés ni par la parole, ni par le regard, ni par le geste, ni par aucun des signes qui servent aux hommes pour se communiquer leurs pensées, mais comme l’âme se parle à elle-même ; car à l’instant où Séraphîta se dévoilait dans