Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/553

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Vous vous dites en vous-même : — Elle serait bien attrapée si j’acceptais ! Elle ne me prie tant que pour être refusée. Alors vous lui répondez : — J’ai précisément affaire chez monsieur un tel ; car il est chargé d’un rapport qui peut compromettre nos intérêts dans telle entreprise, et il faut que je lui parle absolument. Puis, je dois aller au ministère des finances ; ainsi cela s’arrange à merveille.

— Eh ! bien, mon ange, va t’habiller pendant que Céline achèvera ma toilette ; mais ne me fais pas attendre.

— Ma chérie, me voici prêt !… dites-vous en arrivant au bout de quelques minutes, tout botté, rasé, habillé.

Mais tout a changé. Une lettre est survenue ; madame est indisposée ; la robe va mal ; la couturière arrive ; si ce n’est pas la couturière, c’est votre fils, c’est votre mère. Sur cent maris, il en existe quatre-vingt-dix-neuf qui partent contents, et croient leurs femmes bien gardées quand c’est elles qui les mettent à la porte.

Une femme légitime à laquelle son mari ne saurait échapper, qu’aucune inquiétude pécuniaire ne tourmente, et qui, pour employer le luxe d’intelligence dont elle est travaillée, contemple nuit et jour les changeants tableaux de ses journées, a bientôt découvert la faute qu’elle a commise en tombant dans une souricière ou en se laissant surprendre par une péripétie ; elle essaiera donc de tourner toutes ces armes contre vous-même.

Il existe dans la société un homme dont la vue contrarie étrangement votre femme ; elle ne saurait en souffrir le ton, les manières, le genre d’esprit. De lui, tout la blesse ; elle en est persécutée, il lui est odieux ; qu’on ne lui en parle pas. Il semble qu’elle prenne à tâche de vous contrarier ; car il se trouve que c’est un homme de qui vous faites le plus grand cas ; vous en aimez le caractère, parce qu’il vous flatte : aussi, votre femme prétend-elle que votre estime est un pur effet de vanité. Si vous donnez un bal, une soirée, un concert, vous avez presque toujours une discussion à son sujet, et madame vous querelle de ce que vous la forcez à voir des gens qui ne lui conviennent pas.

— Au moins, monsieur, je n’aurai pas à me reprocher de ne pas vous avoir averti. Cet homme-là vous causera quelque chagrin. Fiez-vous un peu aux femmes quand il s’agit de juger un homme. Et permettez-moi de vous dire que ce baron, de qui vous vous amourachez, est un très-dangereux personnage, et que vous avez