Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/560

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nous apercevions pas que nous entrions dans la cour du château. Tout y était éclairé et annonçait le plaisir, excepté la figure du maître, qui devint, à mon aspect, extrêmement rétive à exprimer la joie. M. de T. vint jusqu’à la portière, exprimant une tendresse équivoque ordonnée par le besoin d’une réconciliation. Je sus plus tard que cet accord était impérieusement exigé par des raisons de famille. On me présente, il me salue légèrement. Il offre la main à sa femme, et je suis les deux époux, en rêvant à mon personnage passé, présent et à venir. Je parcourus des appartements décorés avec un goût exquis. Le maître enchérissait sur toutes les recherches du luxe, pour parvenir à ranimer par des images voluptueuses un physique éteint. Ne sachant que dire, je me sauvai par l’admiration. La déesse du temple, habile à en faire les honneurs, reçut mes compliments. — « Vous ne voyez rien, dit-elle, il faut que je vous mène à l’appartement de monsieur. — Madame, il y a cinq ans que je l’ai fait démolir. — Ah ! ah ! dit-elle. » À souper, ne voilà-t-il pas qu’elle s’avise d’offrir à monsieur du veau de rivière, et que monsieur lui répond : — « Madame, je suis au lait depuis trois ans. — Ah ! ah ! » dit-elle encore. Qu’on se peigne trois êtres aussi étonnés que nous de se trouver ensemble. Le mari me regardait d’un air rogue, et je payais d’audace. Madame de T… me souriant était charmante, M. de T… m’acceptait comme un mal nécessaire, madame de T… le lui rendait à merveille. Aussi, n’ai-je jamais fait en ma vie un souper plus bizarre que le fut celui-là. Le repas fini, je m’imaginais bien que nous nous coucherions de bonne heure ; mais je ne m’imaginais bien que pour M. de T… En entrant dans le salon : — « Je vous sais gré, madame, dit-il, de la précaution que vous avez eue d’amener monsieur. Vous avez bien jugé que j’étais de méchante ressource pour la veillée, et vous avez sagement fait, car je me retire. » Puis se tournant de mon côté, il ajouta d’un air profondément ironique : — « Monsieur voudra bien me pardonner, et se chargera de mes excuses auprès de madame. » Il nous quitta. Des réflexions ?… j’en fis en une minute pour un an. Restés seuls, nous nous regardâmes si singulièrement, madame de T… et moi, que, pour nous distraire, elle me proposa de faire un tour sur la terrasse : — « En attendant seulement, me dit-elle, que les gens eussent soupé. » La nuit était superbe. Elle laissait entrevoir les objets à peine, et semblait ne