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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/61

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séparables, unis par une idée, marqués au sceau du travail, Je suis souverain de ce peuple, le premier par élection et non par naissance. Je les dirige tous vers l’essence de la vie ! Grand-Maître, Rose-Croix, Compagnons, Adeptes, nous suivons tous la molécule imperceptible qui fuit nos fourneaux, qui échappe encore à nos yeux ; mais nous nous ferons des yeux encore plus puissants que ceux que nous a donnés la nature, nous atteindrons l’atome primitif, l’élément corpusculaire intrépidement cherché par tous les sages qui nous ont précédés dans cette chasse sublime. Sire, quand un homme est à cheval sur cet abîme et qu’il commande à des plongeurs aussi hardis que le sont mes frères, les autres intérêts humains sont bien petits ; aussi ne sommes-nous pas dangereux. Les disputes religieuses et les débats politiques sont loin de nous, nous sommes bien au delà. Quand on lutte avec la nature, on ne descend pas à colleter quelques hommes. D’ailleurs, tout résultat est appréciable dans notre science, nous pouvons mesurer tous les effets, les prédire ; tandis que tout est oscillatoire dans les combinaisons où entrent les hommes et leurs intérêts. Nous soumettrons le diamant à notre creuset, nous ferons le diamant, nous ferons l’or ! Nous ferons marcher, comme l’a fait l’un des nôtres à Barcelone, des vaisseaux avec un peu d’eau et de feu ! Nous nous passerons du vent, nous ferons le vent, nous ferons la lumière, nous renouvellerons la face des empires par de nouvelles industries ! Mais nous ne nous abaisserons jamais à monter sur un trône pour y être géhennés par des peuples !

Malgré son désir de ne pas se laisser surprendre par les ruses florentines, le roi, de même que sa naïve maîtresse, était déjà saisi, enveloppé dans les ambages et les replis de cette pompeuse loquacité de charlatan. Les yeux des deux amants attestaient l’éblouissement que leur causait la vue de ces richesses mystérieuses étalées ; ils apercevaient comme une enfilade de souterrains pleins de gnomes en travail. Les impatiences de la curiosité dissipaient les défiances du soupçon.

— Mais alors, s’écria le roi, vous êtes de grands politiques qui pouvez nous éclairer.

— Non, sire, dit naïvement Laurent.

— Pourquoi ? demanda le roi.

— Sire, il n’est donné à personne de prévoir ce qui arrivera d’un rassemblement de quelques milliers d’hommes : nous pouvons