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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/619

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sans chevaux et sans culotte de peau, si tout le monde se tenait tranquille et s’il n’y avait ni imbéciles ni paresseux. Imposez donc la vertu ?… Eh ! bien, je pense qu’il y a plus de rapports qu’on ne le croit entre mes femmes honnêtes et le budget ; et je me charge de vous le démontrer si vous voulez me laisser finir mon livre comme il a commencé, par un petit essai de statistique. M’accorderez-vous qu’un amant doive mettre plus souvent des chemises blanches que n’en met, soit un mari, soit un célibataire inoccupé ? Cela me semble hors de doute. La différence qui existe entre un mari et un amant se voit à l’esprit seul de leur toilette. L’un est sans artifice, sa barbe reste souvent longue, et l’autre ne se montre jamais que sous les armes. Sterne a dit fort plaisamment que le livre de sa blanchisseuse était le mémoire le plus historique qu’il connût sur son Tristram Shandy ; et que, par le nombre de ses chemises, on pouvait deviner les endroits de son livre qui lui avaient le plus coûté à faire. Et ! bien, chez les amants, le registre du blanchisseur est l’historien le plus fidèle et le plus impartial qu’ils aient de leurs amours. En effet, une passion consomme une quantité prodigieuse de pèlerines, de cravates, de robes nécessitées par la coquetterie ; car il y a un immense prestige attaché à la blancheur des bas, à l’éclat d’une collerette et d’un canezou, aux plis artistement faits d’une chemise d’homme, à la grâce de sa cravate et de son col. Ceci explique l’endroit où j’ai dit de la femme honnête (Méditation II) : Elle passe sa vie à faire empeser ses robes. J’ai pris des renseignements auprès d’une dame afin de savoir à quelle somme on pouvait évaluer cette contribution imposée par l’amour, et je me souviens qu’après l’avoir fixée à cent francs par an pour une femme, elle me dit avec une sorte de bonhomie : — « Mais c’est selon le caractère des hommes, car il y en a qui sont plus gâcheurs les uns que les autres. » Néanmoins, après une discussion très-approfondie, où je stipulais pour les célibataires, et la dame pour son sexe, il fut convenu que, l’un portant l’autre, deux amants appartenant aux sphères sociales dont s’est occupé cet ouvrage doivent dépenser pour cet article, à eux deux, cent cinquante francs par an de plus qu’en temps de paix. Ce fut par un semblable traité amiable et longuement discuté que nous arrêtâmes aussi une différence collective de quatre cents francs entre le pied de guerre et le pied de paix relativement à toutes les parties du costume. Cet article fut même trouvé fort mesquin par toutes les