Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/439

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partenant tout entier à la musique, compositeur pour lui-même, regardait toutes les petites bêtises de son ami, comme un poisson, qui aurait reçu un billet d’invitation, regarderait une exposition de fleurs au Luxembourg. Il respectait ces œuvres merveilleuses à cause du respect que Pons manifestait en époussetant son trésor. Il répondait : « Ui ! c’esde pien choli ! » aux admirations de son ami, comme une mère répond des phrases insignifiantes aux gestes d’un enfant qui ne parle pas encore. Depuis que les deux amis vivaient ensemble, Schmucke avait vu Pons changeant sept fois d’horloge en en troquant toujours une inférieure contre une plus belle. Pons possédait alors la plus magnifique horloge de Boule, une horloge en ébène incrustée de cuivres et garnie de sculptures, de la première manière de Boule. Boule a eu deux manières, comme Raphaël en a eu trois. Dans la première, il mariait le cuivre à l’ébène ; et, dans la seconde, contre ses convictions il sacrifiait à l’écaille ; il a fait des prodiges pour vaincre ses concurrents, inventeurs de la marqueterie en écaille. Malgré les savantes démonstrations de Pons, Schmucke n’apercevait pas la moindre différence entre la magnifique horloge de la première manière de Boule et les dix autres. Mais, à cause du bonheur de Pons, Schmucke avait plus de soin de tous ces prinporions que son ami n’en prenait lui-même. Il ne faut donc pas s’étonner que le mot sublime de Schmucke ait eu le pouvoir de calmer le désespoir de Pons, car le : — Nus pricabraquerons  ! de l’Allemand voulait dire : — Je mettrai de l’argent dans le bric-à-brac, si tu veux dîner ici.

— Ces messieurs sont servis, vint dire avec un aplomb étonnant madame Cibot.

On comprendra facilement la surprise de Pons en voyant et savourant le dîner dû à l’amitié de Schmucke. Ces sortes de sensations, si rares dans la vie, ne viennent pas du dévouement continu par lequel deux hommes se disent perpétuellement l’un à l’autre : « Tu as en moi un autre toi-même » (car on s’y fait) ; non, elles sont causées par la comparaison de ces témoignages du bonheur de la vie intime avec les barbaries de la vie du monde. C’est le monde qui lie à nouveau, sans cesse, deux amis ou deux amants, lorsque deux grandes âmes se sont mariées par l’amour ou par l’amitié. Aussi Pons essuya-t-il deux grosses larmes ! et Schmucke, de son côté, fut obligé d’essuyer ses yeux mouillés. Ils ne se dirent rien, mais ils s’aimèrent davantage, et ils se firent de petits signes de