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II. LIVRE. SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

à la première personne qui reçut sa confidence. Monsieur de Valois récolta les fruits de son infortune : il eut son couvert mis dans les maisons les plus distinguées d’Alençon et fut invité à toutes les soirées. Ses talents de joueur, de conteur, d’homme aimable et de bonne compagnie furent si bien appréciés qu’il semblait que tout fût manqué si le connaisseur de la ville faisait défaut. Les maîtres de maison, les dames avaient besoin de sa petite grimace approbative. Quand une jeune femme s’entendait dire à un bal par le vieux chevalier : « Vous êtes adorablement bien mise ! » elle était plus heureuse de cet éloge que du désespoir de sa rivale. Monsieur de Valois était le seul qui pût bien prononcer certaines phrases de l’ancien temps. Les mots mon cœur, mon bijou, mon petit chou, ma reine, tous les diminutifs amoureux de l’an 1770 prenaient une grâce irrésistible dans sa bouche ; enfin, il avait le privilége des superlatifs. Ses compliments, dont il était d’ailleurs avare, lui acquéraient les bonnes grâces des vieilles femmes ; ils flattaient tout le monde, même les hommes administratifs, dont il n’avait pas besoin. Sa conduite au jeu était d’une distinction qui l’eût fait remarquer partout : il ne se plaignait jamais, il louait ses adversaires quand ils perdaient ; il n’entreprenait point l’éducation de ses partners, en démontrant la manière de mieux jouer les coups. Lorsque, pendant la donne, il s’établissait de ces nauséabondes dissertations, le chevalier tirait sa tabatière par un geste digne de Molé, regardait la princesse Goritza, levait dignement le couvercle, massait sa prise, la vannait, la lévigeait, la façonnait en talus ; puis, quand les cartes étaient données, il avait garni les antres de son nez et replacé la princesse dans son gilet, toujours à gauche ! Un gentilhomme du bon siècle (par opposition au grand siècle) pouvait seul avoir inventé cette transaction entre un silence méprisant et l’épigramme qui n’eût pas été comprise. Il acceptait les mazettes et savait en tirer parti. Sa ravissante égalité d’humeur faisait dire de lui par beaucoup de personnes : — J’admire le chevalier de Valois ! Sa conversation, ses manières, tout en lui semblait être blond comme sa personne. Il s’étudiait à ne choquer ni homme ni femme. Indulgent pour les vices de conformation comme pour les défauts d’esprit, il écoutait patiemment, à l’aide de la princesse Goritza, les gens qui lui racontaient les petites misères de la vie de province : l’œuf mal cuit du déjeuner, le café dont la crème avait tourné, les détails burlesques sur la santé, les réveils en sursaut, les