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LES RIVALITÉS : LA VIEILLE FILLE.

rêves, les visites. Le chevalier possédait un regard langoureux, une attitude classique pour feindre la compassion, qui le rendaient un délicieux auditeur ; il plaçait un ah ! un bah ! un Comment avez-vous fait ? avec un à-propos charmant. Il mourut sans que personne l’eût jamais soupçonné de se remémorer les chapitres les plus chauds de son roman avec la princesse Goritza, tant que duraient ces avalanches de niaiseries. A-t-on jamais songé aux services qu’un sentiment éteint peut rendre à la société, combien l’amour est sociable et utile ? Ceci peut expliquer pourquoi, malgré ses gains constants, le chevalier restait l’enfant gâté de la ville, car il ne quittait jamais un salon sans emporter environ six livres de gain. Ses pertes, que d’ailleurs il faisait sonner haut, étaient fort rares. Tous ceux qui l’ont connu avouent qu’ils n’ont jamais rencontré nulle part, même dans le Musée égyptien de Turin, une si gentille momie. En aucun pays du monde le parasitisme ne revêtit de si gracieuses formes. Jamais l’égoïsme le plus concentré ne se montra ni plus officieux ni moins offensant que chez ce gentilhomme, il valait une amitié dévouée. Si quelqu’un venait prier monsieur de Valois de lui rendre un petit service qui l’eût dérangé, ce quelqu’un ne s’en allait pas de chez le bon chevalier sans être épris de lui, sans être surtout convaincu qu’il ne pouvait rien à l’affaire ou qu’il la gâterait en s’en mêlant.

Pour expliquer la problématique existence du chevalier, l’historien à qui la Vérité, cette cruelle débauchée, met le poing sur la gorge, doit dire que dernièrement, après les tristes glorieuses journées de juillet, Alençon a su que la somme gagnée au jeu par monsieur de Valois allait par trimestre à cent cinquante écus environ, et que le spirituel chevalier avait eu le courage de s’envoyer à lui-même sa rente viagère, pour ne pas paraître sans ressources dans un pays où l’on aime le positif. Beaucoup de ses amis (il était mort, notez ce point ! ) ont contesté mordicus cette circonstance, l’ont traitée de fable en tenant le chevalier de Valois pour un respectable et digne gentilhomme que les libéraux calomniaient. Heureusement pour les fins joueurs, il se rencontre dans la galerie des gens qui les soutiennent. Honteux d’avoir à justifier un tort, ces admirateurs le nient intrépidement ; ne les taxez pas d’entêtement, ces hommes ont le sentiment de leur dignité : les gouvernements leur donnent l’exemple de cette vertu qui consiste à enterrer nuitamment ses morts sans chanter le Te Deum de ses défaites. Si le chevalier