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LE LYS DE LA VALLÉE.

elle une religion du devoir ; elle recevait nos adorations comme un prêtre reçoit l’encens à la messe ; mon frère aîné semblait avoir absorbé le peu de maternité qu’elle avait au cœur. Elle nous piquait sans cesse par les traits d’une ironie mordante, l’arme des gens sans cœur, et de laquelle elle se servait contre nous qui ne pouvions lui rien répondre. Malgré ces barrières épineuses, les sentiments instinctifs tiennent par tant de racines, la religieuse terreur inspirée par une mère de laquelle il coûte trop de désespérer conserve tant de liens, que la sublime erreur de notre amour se continua jusqu’au jour où, plus avancés dans la vie, elle fut souverainement jugée. En ce jour commencent les représailles des enfants dont l’indifférence engendrée par les déceptions du passé, grossie des épaves limoneuses qu’ils en ramènent, s’étend jusque sur la tombe. Ce terrible despotisme chassa les idées voluptueuses que j’avais follement médité de satisfaire à Tours. Je me jetai désespérément dans la bibliothèque de mon père, où je me mis à lire tous les livres que je ne connaissais point. Mes longues séances de travail m’épargnèrent tout contact avec ma mère, mais elles aggravèrent ma situation morale. Parfois, ma sœur aînée, celle qui a épousé notre cousin le marquis de Listomère, cherchait à me consoler sans pouvoir calmer l’irritation à laquelle j’étais en proie. Je voulais mourir.

De grands événements, auxquels j’étais étranger, se préparaient alors. Parti de Bordeaux pour rejoindre Louis XVIII à Paris, le duc d’Angoulême recevait, à son passage dans chaque ville, des ovations préparées par l’enthousiasme qui saisissait la vieille France au retour des Bourbons. La Touraine en émoi pour ses princes légitimes, la ville en rumeur, les fenêtres pavoisées, les habitants endimanchés, les apprêts d’une fête, et ce je ne sais quoi répandu dans l’air et qui grise, me donnèrent l’envie d’assister au bal offert au prince. Quand je me mis de l’audace au front pour exprimer ce désir à ma mère, alors trop malade pour pouvoir assister à la fête, elle se courrouça grandement. Arrivais-je du Congo pour ne rien savoir ? Comment pouvais-je imaginer que notre famille ne serait pas représentée à ce bal ? En l’absence de mon père et de mon frère, n’était-ce pas à moi d’y aller ? N’avais-je pas une mère ? ne pensait-elle pas au bonheur de ses enfants ? En un moment le fils quasi désavoué devenait un personnage. Je fus autant abasourdi de mon importance que du déluge de raisons ironiquement déduites par