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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

lesquelles ma mère accueillit ma supplique. Je questionnai mes sœurs, j’appris que ma mère, à laquelle plaisaient ces coups de théâtre, s’était forcément occupée de ma toilette. Surpris par les exigences de ses pratiques, aucun tailleur de Tours n’avait pu se charger de mon équipement. Ma mère avait mandé son ouvrière à la journée, qui, suivant l’usage des provinces, savait faire toute espèce de couture. Un habit bleu-barbeau me fut secrètement confectionné tant bien que mal. Des bas de soie et des escarpins neufs furent facilement trouvés ; les gilets d’homme se portaient courts, je pus mettre un des gilets de mon père ; pour la première fois j’eus une chemise à jabot dont les tuyaux gonflèrent ma poitrine et s’entortillèrent dans le nœud de ma cravate. Quand je fus habillé, je me ressemblais si peu, que mes sœurs me donnèrent par leurs compliments le courage de paraître devant la Touraine assemblée. Entreprise ardue ! Cette fête comportait trop d’appelés pour qu’il y eût beaucoup d’élus. Grâce à l’exiguïté de ma taille, je me faufilai sous une tente construite dans les jardins de la maison Papion et j’arrivai près du fauteuil où trônait le prince. En un moment je fus suffoqué par la chaleur, ébloui par les lumières, par les tentures rouges, par les ornements dorés, par les toilettes et les diamants de la première fête publique à laquelle j’assistais. J’étais poussé par une foule d’hommes et de femmes qui se ruaient les uns sur les autres et se heurtaient dans un nuage de poussière. Les cuivres ardents et les éclats bourboniens de la musique militaire étaient étouffés sous les hourra de : — Vive le duc d’Angoulême ! vive le roi ! vivent les Bourbons ! Cette fête était une débâcle d’enthousiasme où chacun s’efforçait de se surpasser dans le féroce empressement de courir au soleil levant des Bourbons, véritable égoïsme de parti qui me laissa froid, me rapetissa, me replia sur moi-même.

Emporté comme un fétu dans ce tourbillon, j’eus un enfantin désir d’être duc d’Angoulême, de me mêler ainsi à ces princes qui paradaient devant un public ébahi. La niaise envie du Tourangeau fit éclore une ambition que mon caractère et les circonstances ennoblirent. Qui n’a pas jalousé cette adoration dont une répétition grandiose me fut offerte quelques mois après, quand Paris tout entier se précipita vers l’Empereur à son retour de l’île d’Elbe ? Cet empire exercé sur les masses dont les sentiments et la vie se déchargent dans une seule âme, me voua soudain à la gloire, cette prêtresse qui égorge les Français aujourd’hui, comme autrefois la drui-