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LE LYS DE LA VALLÉE.

lieu ! Quel abandon du luxe pour sa personne ! son luxe était la plus exquise propreté. Noble cellule de religieuse mariée pleine de résignation sainte, où le seul ornement était le crucifix de son lit, au dessus duquel se voyait le portrait de sa tante ; puis, de chaque côté du bénitier, ses deux enfants dessinés par elle au crayon, et leurs cheveux du temps où ils étaient petits. Quelle retraite pour une femme de qui l’apparition dans le grand monde eût fait pâlir les plus belles ! Tel était le boudoir où pleurait toujours la fille d’une illustre famille, inondée en ce moment d’amertume et se refusant à l’amour qui l’aurait consolée. Malheur secret, irréparable ! Et des larmes chez la victime pour le bourreau, et des larmes chez le bourreau pour la victime. Quand les enfants et la femme de chambre entrèrent, je sortis. Le comte m’attendait, il m’admettait déjà comme un pouvoir médiateur entre sa femme et lui ; et il me saisit par les mains eu me criant : — Restez, restez, Félix !

— Malheureusement, lui dis-je, monsieur de Chessel a du monde, il ne serait pas convenable que ses convives cherchassent les motifs de mon absence ; mais après le dîner je reviendrai.

Il sortit avec moi, me reconduisit jusqu’à la porte d’en bas sans me dire un mot ; puis il m’accompagna jusqu’à Frapesle, sans savoir ce qu’il faisait. Enfin, là je lui dis : — Au nom du ciel, monsieur le comte, laissez-lui diriger votre maison, si cela peut lui plaire, et ne la tourmentez plus.

— Je n’ai pas long-temps à vivre, me dit-il d’un air sérieux ; elle ne souffrira pas long-temps par moi, je sens que ma tête éclate.

Et il me quitta dans un accès d’égoïsme involontaire. Après le dîner, je revins savoir des nouvelles de madame de Mortsauf, que je trouvai déjà mieux. Si telles étaient, pour elle, les joies du mariage, si de semblables scènes se renouvelaient souvent, comment pouvait-elle vivre ? Quel lent assassinat impuni ! Pendant cette soirée, je compris par quelles tortures inouïes le comte énervait sa femme. Devant quel tribunal apporter de tels litiges ? Ces réflexions m’hébétaient, je ne pus rien dire à Henriette ; mais je passai la nuit à lui écrire. Des trois ou quatre lettres que je fis, il m’est resté ce commencement dont je ne fus pas content ; mais s’il me parut ne rien exprimer, ou trop parler de moi quand je ne devais m’occuper que d’elle, il vous dira dans quel état était mon âme.