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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

«  À MADAME DE MORTSAUF.

Combien de choses n’avais-je pas à vous dire en arrivant, auxquelles je pensais pendant le chemin et que j’oublie en vous voyant ! Oui, dès que je vous vois, chère Henriette, je ne trouve plus mes paroles en harmonie avec les reflets de votre âme qui grandissent votre beauté ; puis, j’éprouve près de vous un bonheur tellement infini, que le sentiment actuel efface les sentiments de la vie antérieure. Chaque fois, je nais à une vie plus étendue et suis comme le voyageur qui, en montant quelque grand rocher, découvre à chaque pas un nouvel horizon. À chaque nouvelle conversation, n’ajoutai-je pas à mes immenses trésors un nouveau trésor ? Là, je crois, est le secret des longs, des inépuisables attachements. Je ne puis donc vous parler de vous que loin de vous. En votre présence, je suis trop ébloui pour voir, trop heureux pour interroger mon bonheur, trop plein de vous pour être moi, trop éloquent par vous pour parler, trop ardent à saisir le moment présent pour me souvenir du passé. Sachez bien cette constante ivresse pour m’en pardonner les erreurs. Près de vous, je ne puis que sentir. Néanmoins j’oserai vous dire, ma chère Henriette, que jamais, dans les nombreuses joies que vous avez faites, je n’ai ressenti de félicités semblables aux délices qui remplirent mon âme hier quand, après cette tempête horrible où vous avez lutté contre le mal avec un courage surhumain, vous êtes revenue à moi seul, au milieu du demi-jour de votre chambre, où cette malheureuse scène m’a conduit. Moi seul ai su de quelles lueurs peut briller une femme quand elle arrive des portes de la mort aux portes de la vie, et que l’aurore d’une renaissance vient nuancer son front. Combien votre voix était harmonieuse ! Combien les mots, même les vôtres, me semblaient petits alors que dans le son de votre voix adorée reparaissaient les ressentiments vagues d’une douleur passée, mêlés aux consolations divines par lesquelles vous m’avez enfin rassuré, en me donnant ainsi vos premières pensées. Je vous connaissais brillant de toutes les splendeurs humaines ; mais hier j’ai entrevu une nouvelle Henriette qui serait à moi si Dieu le voulait. Hier j’ai entrevu je ne sais quel être dégagé des entraves corporelles qui nous empêchent de secouer les feux de