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LE LYS DE LA VALLÉE.

core un mot sur le discours en public. Mon ami, la jeunesse est toujours encline à je ne sais quelle promptitude de jugement qui lui fait honneur, mais qui la dessert ; de là venait le silence imposé par l’éducation d’autrefois aux jeunes gens qui faisaient auprès des grands un stage pendant lequel ils étudiaient la vie ; car, autrefois, la Noblesse comme l’Art avait ses apprentis, ses pages dévoués aux maîtres qui les nourrissaient. Aujourd’hui la jeunesse possède une science de serre chaude, partant tout acide, qui la porte à juger avec sévérité les actions, les pensées et les écrits ; elle tranche avec le fil d’une lame qui n’a pas encore servi. N’ayez pas ce travers. Vos arrêts seraient des censures qui blesseraient beaucoup de personnes autour de vous, et tous pardonneront moins peut-être une blessure secrète qu’un tort que vous donneriez publiquement. Les jeunes gens sont sans indulgence, parce qu’ils ne connaissent rien de la vie ni de ses difficultés. Le vieux critique est bon et doux, le jeune critique est implacable ; celui-ci ne sait rien, celui-là sait tout. D’ailleurs, il est au fond de toutes les actions humaines un labyrinthe de raisons déterminantes, desquelles Dieu s’est réservé le jugement définitif. Ne soyez sévère que pour vous-même. Votre fortune est devant vous, mais personne en ce monde ne peut faire la sienne sans aide ; pratiquez donc la maison de mon père, l’entrée vous en est acquise, les relations que vous vous y créerez vous serviront en mille occasions ; mais n’y cédez pas un pouce de terrain à ma mère, elle écrase celui qui s’abandonne et admire la fierté de celui qui lui résiste ; elle ressemble au fer qui, battu, peut se joindre au fer, mais qui brise par son contact tout ce qui n’a pas sa dureté. Cultivez donc ma mère ; si elle vous veut du bien, elle vous introduira dans les salons où vous acquerrez cette fatale science du monde, l’art d’écouter, de parler, de répondre, de vous présenter, de sortir ; le langage précis, ce je ne sais quoi qui n’est pas plus la supériorité que l’habit ne constitue le génie, mais sans lequel le plus beau talent ne sera jamais admis. Je vous connais assez pour être sûre de ne me faire aucune illusion en vous voyant par avance comme je souhaite que vous soyez : simple dans vos manières, doux de ton, fier sans fatuité, respectueux près des vieillards, prévenant sans servilité, discret surtout. Déployez votre esprit, mais ne servez pas d’amusement aux autres ; car, sachez bien que si votre supériorité froisse un homme médiocre, il se taira,