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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

puis il dira de vous : — « Il est très amusant ! » terme de mépris. Que votre supériorité soit toujours léonine. Ne cherchez pas d’ailleurs à complaire aux hommes. Dans vos relations avec eux, je vous recommande une froideur qui puisse arriver jusqu’à cette impertinence dont ils ne peuvent se fâcher ; tous respectent celui qui les dédaigne, et ce dédain vous conciliera la faveur de toutes les femmes qui vous estimeront en raison du peu de cas que vous ferez des hommes. Ne souffrez jamais près de vous des gens déconsidérés, quand même ils ne mériteraient pas leur réputation, car le monde nous demande également compte de nos amitiés et de nos haines ; à cet égard, que vos jugements soient long-temps et mûrement pesés, mais qu’ils soient irrévocables. Quand les hommes repoussés par vous auront justifié votre répulsion, votre estime sera recherchée ; ainsi vous inspirerez ce respect tacite qui grandit un homme parmi les hommes. Vous voilà donc armé de la jeunesse qui plaît, de la grâce qui séduit, de la sagesse qui conserve les conquêtes. Tout ce que je viens de vous dire peut se résumer par un vieux mot : noblesse oblige !

Maintenant appliquez ces préceptes à la politique des affaires. Vous entendrez plusieurs personnes disant que la finesse est l’élément du succès, que le moyen de percer la foule est de diviser les hommes pour se faire faire place. Mon ami, ces principes étaient bons au Moyen-Age, quand les princes avaient des forces rivales à détruire les unes par les autres ; mais aujourd’hui tout est à jour, et ce système vous rendrait de fort mauvais services. En effet, vous rencontrerez devant vous, soit un homme loyal et vrai, soit un ennemi traître, un homme qui procédera par la calomnie, par la médisance, par la fourberie. Eh ! bien, sachez que vous n’avez pas de plus puissant auxiliaire que celui-ci, l’ennemi de cet homme est lui-même ; vous pouvez le combattre en vous servant d’armes loyales, il sera tôt ou tard méprisé. Quant au premier, votre franchise vous conciliera son estime ; et, vos intérêts conciliés (car tout s’arrange), il vous servira. Ne craignez pas de vous faire des ennemis ; malheur à qui n’en a pas dans le monde où vous allez ; mais tâchez de ne donner prise ni au ridicule ni à la déconsidération ; je dis tâchez, car à Paris un homme ne s’appartient pas toujours, il est soumis à de fatales circonstances ; vous n’y pourrez éviter ni la boue du ruisseau, ni la tuile qui tombe. La morale a ses ruisseaux d’où les gens désho-