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LE LYS DE LA VALLÉE.

de joie et de jeunesse ; je retrouvai mon cher lys, embelli, mieux épanoui, de même que je trouvai mes trésors de cœur augmentés. N’est-ce pas seulement chez les petits esprits, ou dans les cœurs vulgaires, que l’absence amoindrit les sentiments, efface les traits de l’âme et diminue les beautés de la personne aimée ? Pour les imaginations ardentes, pour les êtres chez lesquels l’enthousiasme passe dans le sang, le teint d’une pourpre nouvelle, et chez qui la passion prend les formes de la constance, l’absence n’a-t-elle pas l’effet des supplices qui raffermissaient la foi des premiers chrétiens, et leur rendaient Dieu visible ? N’existe-t-il pas chez un cœur rempli d’amour des souhaits incessants qui donnent plus de prix aux formes désirées en les faisant entrevoir colorées par le feu des rêves ? n’éprouve-t-on pas des irritations qui communiquent le beau de l’idéal aux traits adorés en les chargeant de pensées ? Le passé, repris souvenir à souvenir, s’agrandit ; l’avenir se meuble d’espérances. Entre deux cœurs où surabondent ces nuages électriques, une première entrevue devint alors comme un bienfaisant orage qui ravive la terre et la féconde en y portant les subites lumières de la foudre. Combien de plaisirs suaves ne goûtai-je pas en voyant que chez nous ces pensées, ces ressentiments étaient réciproques ? De quel œil charmé je suivis les progrès du bonheur chez Henriette ! Une femme qui revit sous les regards de l’aimé donne peut être une plus grande preuve de sentiment que celle qui meurt tuée par un doute, ou séchée sur sa tige, faute de sève ; je ne sais qui des deux est la plus touchante. La renaissance de madame de Mortsauf fut naturelle, comme les effets du mois de mai sur les prairies, comme ceux du soleil et de l’onde sur les fleurs abattues. Comme notre vallée d’amour, Henriette avait eu son hiver, elle renaissait comme elle au printemps. Avant le dîner, nous descendîmes sur notre chère terrasse. Là, tout en caressant la tête de son pauvre enfant, devenu plus débile que je ne l’avais vu, qui marchait aux flancs de sa mère silencieux comme s’il couvait encore une maladie, elle me raconta ses nuits passées au chevet du malade. — Durant ces trois mois, elle avait, disait-elle, vécu d’une vie tout intérieure ; elle avait habité comme un palais sombre en craignant d’entrer en de somptueux appartements où brillaient des lumières, où se donnaient des fêtes à elle interdites, et à la porte desquels elle se tenait, un œil à son enfant, l’autre sur une figure indistincte, une oreille pour écouter les douleurs, une autre pour entendre une