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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

de tranquillité : je me le suis figuré comme un lac immense où la sonde ne trouve point de fond, où les tempêtes peuvent être violentes, mais rares et contenues en des bornes infranchissables où deux êtres vivent dans une île fleurie, loin du monde dont le luxe et l’éclat les offenseraient. Mais l’amour doit prendre l’empreinte des caractères, j’ai tort peut-être. Si les principes de la nature se plient aux formes voulues par les climats, pourquoi n’en serait-il pas ainsi des sentiments chez les individus ? Sans doute les sentiments, qui tiennent à la loi générale par la masse, ne contrastent que dans l’expression seulement. Chaque âme a sa manière. La marquise est la femme forte qui franchit les distances et agit avec la puissance de l’homme ; qui délivrerait son amant de captivité, tuerait geôlier, gardes et bourreaux ; tandis que certaines créatures ne savent qu’aimer de toute leur âme ; dans le danger, elles s’agenouillent, prient et meurent. Quelle est de ces deux femmes celle qui vous plaît le plus, voilà toute la question. Mais oui, la marquise vous aime, elle vous a fait tant de sacrifices ! Peut-être est-ce elle qui vous aimera toujours quand vous ne l’aimerez plus !

— Permettez. moi, cher ange, de répéter de que vous m’avez dit un jour : comment savez-vous ces choses ?

— Chaque douleur a son enseignement, et j’ai souffert sur tant de points, que mon savoir est vaste.

Mon domestique avait entendu donner l’ordre, il crut que nous reviendrions par les terrasses, et tenait mon cheval tout prêt dans l’avenue : le chien d’Arabelle avait senti le cheval ; et sa maîtresse, conduite par une curiosité bien légitime, l’avait suivi à travers les bois où sans doute elle était cachée.

— Allez faire votre paix, me dit Henriette en souriant et sans trahir de mélancolie. Dites-lui combien elle s’est trompée sur mes intentions ; je voulais lui révéler tout le prix du trésor qui lui est échu ; mon cœur n’enferme que de bons sentiments pour elle et n’a surtout ni colère ni mépris ; expliquez-lui que je suis sa sœur et non pas sa rivale.

— Je n’irai point ! m’écriai-je.

— N’avez-vous jamais éprouvé, dit-elle avec l’étincelante fierté des martyrs, que certains ménagements arrivent jusqu’à l’insulte ? Allez, allez.

Je courus alors vers lady Dudley pour savoir en quelles dispositions elle était. — Si elle pouvait se fâcher et me quitter ! pensai-je,