Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
LE LYS DE LA VALLÉE.

je reviendrais à Clochegourde. Le chien me conduisit sous un chêne, d’où la marquise s’élança en me criant : — Away ! away ! Tout ce que je pus faire fut de la suivre jusqu’à Saint-Cyr, où nous arrivâmes à minuit.

— Cette dame est en parfaite santé, me dit Arabelle quand elle descendit de cheval.

Ceux qui l’ont connue peuvent seuls imaginer tous les sarcasmes que contenait cette observation sèchement jetée d’un air qui voulait dire : — Moi je serais morte !

— Je te défends de hasarder une seule de tes plaisanteries à triple dard sur madame de Mortsauf, lui répondis-je.

— Serait-ce déplaire à Votre Grâce que de remarquer la parfaite santé dont jouit un être cher à votre précieux cœur ? Les femmes françaises haïssent, dit-on, jusqu’au chien de leurs amants ; en Angleterre, nous aimons tout ce que nos souverains seigneurs aiment, nous haïssons tout ce qu’ils haïssent, parce que nous vivons dans la peau de nos seigneurs. Permettez-moi donc d’aimer cette dame autant que vous l’aimez vous-même. Seulement, cher enfant, dit-elle en m’enlaçant de ses bras humides de pluie, si tu me trahissais, je ne serais ni debout ni couchée, ni dans une calèche flanquée de laquais, ni à me promener dans les landes de Charlemagne, ni dans aucune des landes d’aucun pays d’aucun monde, ni dans mon lit, ni sous le toit de mes pères ! Je ne serais plus, moi. Je suis née dans le Lancashire, pays où les femmes meurent d’amour. Te connaître et te céder ! Je ne te céderais à aucune puissance, pas même à la mort, car je m’en irais avec toi.

Elle m’emmena dans sa chambre, où déjà le comfort avait étalé ses jouissances.

— Aime-la, ma chère, lui dis-je avec chaleur, elle t’aime, elle, non pas d’une façon railleuse, mais sincèrement.

— Sincèrement, petit ? dit-elle en délaçant son amazone.

Par vanité d’amant, je voulus révéler la sublimité du caractère d’Henriette à cette orgueilleuse créature. Pendant que la femme de chambre, qui ne savait pas un mot de français, lui arrangeait les cheveux, j’essayai de peindre madame de Mortsauf en en esquissant la vie, et je répétai les grandes pensées que lui avait suggérées la crise où toutes les femmes deviennent petites et mauvaises. Quoique Arabelle parût ne pas me prêter la moindre attention, elle ne perdit aucune de mes paroles.