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LE LYS DE LA VALLÉE.

fleurs, que jadis dans mes courses je n’ai pas admirée sans un sinistre frémissement et qui était l’image de cette heure lugubre ! » Tout était morne dans ce petit castel, autrefois si vivant, si animé ! tout pleurait, tout disait le désespoir et l’abandon. C’était des allées ratissées à moitié, des travaux commencés et abandonnés, des ouvriers debout regardant le château. Quoique l’on vendangeât les clos, l’on n’entendait ni bruit ni babil. Les vignes semblaient inhabitées, tant le silence était profond. Nous allions comme des gens dont la douleur repousse des paroles banales, et nous écoutions le comte, le seul de nous qui parlât. Après les phrases dictées par l’amour machinal qu’il ressentait pour sa femme, le comte fut conduit par la pente de son esprit à se plaindre de la comtesse. Sa femme n’avait jamais voulu se soigner ni l’écouter quand il lui donnait de bons avis ; il s’était aperçu le premier des symptômes de la maladie ; car il les avait étudiés sur lui-même, les avait combattus et s’en était guéri tout seul sans autre secours que celui d’un régime, et en évitant toute émotion forte. Il aurait bien pu guérir aussi la comtesse ; mais un mari ne saurait accepter de semblables responsabilités, surtout lorsqu’il a le malheur de voir en toute affaire son expérience dédaignée. Malgré ses représentations, la comtesse avait pris Origet pour médecin. Origet, qui l’avait jadis si mal soigné, lui tuait sa femme. Si cette maladie a pour cause d’excessifs chagrins, il avait été dans toutes les conditions pour l’avoir ; mais quels pouvaient être les chagrins de sa femme ? La comtesse était heureuse, elle n’avait ni peines ni contrariétés ! leur fortune était, grâce à ses soins et à ses bonnes idées, dans un état satisfaisant ; il laissait madame de Mortsauf régner à Clochegourde ; ses enfants, bien élevés, bien portants, ne donnaient plus aucune inquiétude ; d’où pouvait donc procéder le mal ? Et il discutait et il mêlait l’expression de son désespoir à des accusations insensées. Puis, ramené bientôt par quelque souvenir à l’admiration que méritait cette noble créature, quelques larmes s’échappaient de ses yeux, secs depuis si long-temps.

Madeleine vint m’avertir que sa mère m’attendait. L’abbé Birotteau me suivit. La grave jeune fille resta près de son père, en disant que la comtesse désirait être seule avec moi, et prétextait la fatigue que lui causerait la présence de plusieurs personnes. La solennité de ce moment produisit en moi cette impression de chaleur intérieure et de froid au dehors qui nous brise dans les grandes circon-