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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

stances de la vie. L’abbé Birotteau, l’un de ces hommes que Dieu a marqués comme siens en les revêtant de douceur, de simplicité, en leur accordant la patience et la miséricorde, me prit à part.

— Monsieur, me dit-il, sachez que j’ai fait tout ce qui était humainement possible pour empêcher cette réunion. Le salut de cette sainte le voulait ainsi. Je n’ai vu qu’elle et non vous. Maintenant que vous allez revoir celle dont l’accès aurait dû vous être interdit par les anges, apprenez que je resterai entre vous pour la défendre contre vous-même et contre elle peut-être ! Respectez sa faiblesse. Je ne vous demande pas grâce pour elle comme prêtre, mais comme un humble ami que vous ne saviez pas avoir, et qui veut vous éviter des remords. Notre chère malade meurt exactement de faim et de soif. Depuis ce matin, elle est en proie à l’irritation fiévreuse qui précède cette horrible mort, et je ne puis vous cacher combien elle regrette la vie. Les cris de sa chair révoltée s’éteignent dans mon cœur où ils blessent des échos encore trop tendres ; mais monsieur de Dominis et moi nous avons accepté cette tâche religieuse, afin de dérober le spectacle de cette agonie morale à cette noble famille qui ne reconnaît plus son étoile du soir et du matin. Car l’époux, les enfants, les serviteurs, tous demandent : Où est-elle ? tant elle est changée. À votre aspect, les plaintes vont renaître. Quittez les pensées de l’homme du monde, oubliez les vanités du cœur, soyez près d’elle l’auxiliaire du ciel et non celui de la terre. Que cette sainte ne meure pas dans une heure de doute, en laissant échapper des paroles de désespoir…

Je ne répondis rien. Mon silence consterna le pauvre confesseur. Je voyais, j’entendais, je marchais et n’étais cependant plus sur la terre. Cette réflexion : « Qu’est-il donc arrivé ? dans quel état dois-je la trouver, pour que chacun use de telles précautions ? » engendrait des appréhensions d’autant plus cruelles qu’elles étaient indéfinies : elle comprenait toutes les douleurs ensemble. Nous arrivâmes à la porte de la chambre que m’ouvrit le confesseur inquiet. J’aperçus alors Henriette en robe blanche, assise sur son petit canapé, placé devant la cheminée ornée de nos deux vases pleins de fleurs ; puis des fleurs encore sur le guéridon placé devant la croisée. Le visage de l’abbé Birotteau, stupéfait à l’aspect de cette fête improvisée et du changement de cette chambre subitement rétablie en son ancien état, me fit deviner que la mourante avait banni le repoussant appareil qui environne le lit des malades. Elle avait dé-