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LE LYS DE LA VALLÉE.

pensé les dernières forces d’une fièvre expirante à parer sa chambre en désordre pour y recevoir dignement celui qu’elle aimait en ce moment plus que toute chose. Sous les flots de dentelles, sa figure amaigrie, qui avait la pâleur verdâtre des fleurs du magnolia quand elles s’entr’ouvrent, apparaissait comme sur la toile jaune d’un portrait les premiers contours d’une tête chérie dessinée à la craie ; mais, pour sentir combien la griffe du vautour s’enfonça profondément dans mon cœur, supposez achevés et pleins de vie les yeux de cette esquisse, des yeux caves qui brillaient d’un éclat inusité dans une figure éteinte. Elle n’avait plus la majesté calme que lui communiquait la constante victoire remportée sur ses douleurs. Son front, seule partie du visage qui eût gardé ses belles proportions, exprimait l’audace agressive du désir et des menaces réprimées. Malgré les tons de cire de sa face allongée, des feux intérieurs s’en échappaient par un rayonnement semblable au fluide qui flambe au-dessus des champs par une chaude journée. Ses tempes creusées, ses joues rentrées montraient les formes intérieures du visage et le sourire que formaient ses lèvres blanches ressemblait vaguement au ricanement de la mort. Sa robe croisée sur son sein attestait la maigreur de son beau corsage. L’expression de sa tête disait assez qu’elle se savait changée et qu’elle en était au désespoir. Ce n’était plus ma délicieuse Henriette, ni la sublime et sainte madame de Mortsauf ; mais le quelque chose sans nom de Bossuet qui se débattait contre le néant, et que la faim, les désirs trompés poussaient au combat égoïste de la vie contre la mort. Je vins m’asseoir près d’elle en lui prenant pour la baiser sa main que je sentis brûlante et desséchée. Elle devina ma douloureuse surprise dans l’effort même que je fis pour la déguiser. Ses lèvres décolorées se tendirent alors sur ses dents affamées pour essayer un de ces sourires forcés sous lesquels nous cachons également l’ironie de la vengeance, l’attente du plaisir, l’ivresse de l’âme et la rage d’une déception.

— Ah ! c’est la mort, mon pauvre Félix, me dit-elle, et vous n’aimez pas la mort ! la mort odieuse, la mort de laquelle toute créature, même l’amant le plus intrépide, a horreur. Ici finit l’amour : je le savais bien. Lady Dudley ne vous verra jamais étonné de son changement. Ah ! pourquoi vous ai-je tant souhaité, Félix ? vous êtes enfin venu : je vous récompense de ce dévouement par l’horrible spectacle qui fit jadis du comte de Rancé un trappiste, moi qui désirais demeurer belle et grande dans votre souvenir, y