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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

baisait sur le front en s’écriant : — Pauvre Henriette ! En retournant à Clochegourde le printemps, les premières feuilles, le parfum des fleurs, les jolis nuages blancs, l’Indre, le ciel, tout me parlait un langage jusqu’alors incompris et qui rendait à mon âme un peu du mouvement que vous aviez imprimé à mes sens. Si vous avez oublié ces terribles baisers, moi, je n’ai jamais pu les effacer de mon souvenir : j’en meurs ! Oui, chaque fois que je vous ai vu depuis, vous en ranimiez l’empreinte ; j’étais émue de la tête aux pieds par votre aspect, par le seul pressentiment de votre arrivée. Ni le temps, ni ma ferme volonté n’ont pu dompter cette impérieuse volupté. Je me demandais involontairement : Que doivent être les plaisirs ? Nos regards échangés, les respectueux baisers que vous mettiez sur mes mains, mon bras posé sur le vôtre, votre voix dans ses tons de tendresse, enfin les moindres choses me remuaient si violemment que presque toujours il se répandait un nuage sur mes yeux : le bruit des sens révoltés remplissait alors mon oreille. Ah ! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serais morte de bonheur. J’ai parfois désiré de vous quelque violence, mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée. Votre nom prononcé par mes enfants m’emplissait le cœur d’un sang plus chaud qui colorait aussitôt mon visage et je tendais des piéges à ma pauvre Madeleine pour le lui faire dire, tant j’aimais les bouillonnements de cette sensation. Que vous dirai-je ? votre écriture avait un charme, je regardais vos lettres comme on contemple un portrait. Si dès ce premier jour, vous aviez déjà conquis sur moi je ne sais quel fatal pouvoir, vous comprenez mon ami qu’il devint infini quand il me fut donné de lire dans votre âme. Quelles délices m’inondèrent en vous trouvant si pur, si complétement vrai, doué de qualités si belles, capable de si grandes choses et déjà si éprouvé ! Homme et enfant, timide et courageux ! Quelle joie quand je nous trouvai sacrés tous deux par de communes souffrances ! Depuis cette soirée où nous nous confiâmes l’un à l’autre, vous perdre, pour moi c’était mourir : aussi vous ai-je laissé près de moi par égoïsme. La certitude qu’eut monsieur de la Berge de la mort que me causerait votre éloignement le toucha beaucoup, car il lisait dans mon âme. Il jugea que j’étais nécessaire à mes enfants, au comte : il ne m’ordonna point de vous