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LE LYS DE LA VALLÉE.

fermer l’entrée de ma maison, car je lui promis de rester pure d’action et de pensée. — La pensée est involontaire, me dit-il, mais elle peut être gardée au milieu des supplices. — « Si je pense, lui répondis-je, tout sera perdu, sauvez-moi de moi-même. Faites qu’il demeure près de moi, et que je reste pure ! » Le bon vieillard quoique bien sévère, fut alors indulgent à tant de bonne foi. — « Vous pouvez l’aimer comme on aime un fils, en lui destinant votre fille, » me dit-il. J’acceptai courageusement une vie de souffrances pour ne pas vous perdre ; et je souffris avec amour en voyant que nous étions attelés au même joug. Mon Dieu ! je suis restée neutre, fidèle à mon mari, ne vous laissant pas faire un seul pas, Félix, dans votre propre royaume. La grandeur de mes passions a réagi sur mes facultés, j’ai regardé les tourments que m’infligeait monsieur de Mortsauf comme des expiations, et je les endurais avec orgueil pour insulter à mes penchants coupables. Autrefois j’étais disposée à murmurer, mais depuis que vous êtes demeuré près de moi, j’ai repris quelque gaieté dont monsieur de Mortsauf s’est bien trouvé. Sans cette force que vous me prêtiez, j’aurais succombé depuis long-temps à ma vie intérieure que je vous ai racontée. Si vous avez été pour beaucoup dans mes fautes, vous avez été pour beaucoup dans l’exercice de mes devoirs. Il en fut de même pour mes enfants. Je croyais les avoir privés de quelque chose, et je craignais de ne faire jamais assez pour eux. Ma vie fut dès lors une continuelle douleur que j’aimais. En sentant que j’étais moins mère, moins honnête femme, le remords s’est logé dans mon cœur ; et, craignant de manquer à mes obligations, j’ai constamment voulu les outrepasser. Pour ne pas faillir, j’ai donc mis Madeleine entre vous et moi, et je vous ai destiné l’un à l’autre, en m’élevant ainsi des barrières entre nous deux. Barrières impuissantes ! rien ne pouvait étouffer les tressaillements que vous me causiez. Absent ou présent, vous aviez la même force. J’ai préféré Madeleine à Jacques, parce que Madeleine devait être à vous. Mais je ne vous cédais pas à ma fille sans combats. Je me disais que je n’avais que vingt-huit ans quand je vous rencontrai, que vous en aviez presque vingt-deux ; je rapprochais les distances, je me livrais à de faux espoirs. Ô mon Dieu, Félix, je vous fais ces aveux afin de vous épargner des remords, peut-être aussi afin de vous apprendre que je n’étais pas insensible, que